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Critique de Presence


Il s'agit d'une série en 4 tomes, regroupant 25 épisodes parus de 2008 à 2010. "Haunted house" est le premier de la série et comprend les épisodes 1 à 6. Les suivants sont (2) Easy kill (épisodes 7 à 14), (3) Dry season (épisodes 15 à 20), et (4) Beautiful world (épisodes 21 à 25). le scénario est de Joshua Dysart, les dessins et l'encrage d'Alberto Ponticelli, la mise en couleurs d'Oscar Celestini.

Le récit s'ouvre sur une vision terrifiante en 2002 dans le nord de l'Ouganda, en pleine guerre entre la Force de défense du peuple ougandais et l'Armée de résistance du Seigneur (organisation rebelle) : un enfant de 12 ans se sert d'une arme automatique et tue un soldat adulte ; il menace le docteur Lwanga Moses du même sort s'il bouge. Ce dernier se souvient des événements qui l'ont amené dans cette situation. Il est ougandais de naissance, ses parents ont émigré pour les États-Unis quand il avait 7 ans contraints et forcés par le régime en place. Là bas il a bénéficié d'une enfance protégée et a pu effectuer des études de médecine, obtenir son diplôme et épouser Sera, elle-même médecin. Il a choisi d'exercer sa profession avec sa femme en Ouganda dans un camp pour déplacés internes. Il en effectue l'annonce lors d'un repas de charité, où Margaret Wells (une actrice célèbre) effectue également une apparition. Peu de temps avant son départ, il est la proie d'un terrible cauchemar dans lequel il assassine sauvagement sa femme. Arrivé en Ouganda, les époux sont accompagnés par Momolu Sengendo, un journaliste. Arrivés dans le camp de déplacés internes, les 2 médecins ne comptent pas leurs heures découvrant des blessures infligées avec une terrible cruauté (une fillette dont des soldats ont coupé les pieds, pour avoir osé faire de la bicyclette). Lorsqu'un enfant arrive ensanglanté dans le camp, Lwanga Moses s'élance dans la brousse pour trouver son agresseur.

Voilà un scénariste qui n'a pas froid aux yeux : il ose raconter une histoire de guerre sur la base d'un conflit réel, assez récent, avec une volonté évidente de plausibilité, à défaut de véracité. Il reprend un personnage assez mystérieux et à l'identité mal définie de l'univers partagé DC : Showcase presents: Unknown Soldier 01 (pour ses aventures des années 1970), Unknown Soldier pour une version plus moderne (1997) de Garth Ennis et Kilian Plunkett. Dès la première page, le lecteur est estomaqué par la présence de cet enfant muni d'un fusil automatique. La scène est saisissante parce que Ponticelli représente réellement un enfant de cet âge, étant la proie d'une rage intense et d'une peur hors de contrôle. Face à lui les adultes sont démunis et à sa merci. Les auteurs prennent à nouveau le lecteur par surprise avec cet assassinant sauvage et brutal de l'épouse. Dans le premier épisode, il y a une scène qui surprend encore plus : un musulman en train de prier, sans aucune connotation, sens-entendu ou jugement de valeur, du jamais vu dans un comics.

Dès le début, le lecteur peut constater que Dysart ne fait pas semblant, qu'il n'a pas choisi l'Ouganda comme un décor facile pour raconter une histoire de guerre de plus. Il ne se contente pas d'agiter quelques réfugiés, dans un vague décor de brousse. Sans donner de leçon d'histoire ou de géopolitique, les dialogues des personnages font référence à Yoweri Museveni, président de la République de l'Ouganda depuis 1986, à l'ancien Protectorat britannique, aux camps de déportés internes, à l'armée régulière et à celle des rebelles, à l'embrigadement des très jeunes adolescents, aux pratiques barbares réelles, etc. Avec une approche aussi documentée, le lecteur ne peut pas se repaître de la violence montrée, en bon voyeur. Dysart réussit un amalgame harmonieux entre des composantes hétérogènes et presqu'antinomiques. Il reprend le principe de ce soldat revenu de tout à la tête enrobée de bandages, qu'il mélange avec la découverte d'horreurs trop réelles par Moses, et leurs effets sur son psychisme, et le mélange de vulnérabilité et de résistance propre aux enfants. Il évite ainsi tous les stéréotypes et tous les lieux communs propres aux comics de guerre, pour une vision de crimes insupportables et insoutenables, rendus regardables par le truchement de l'histoire personnelle du personnage principal. le lecteur peut prendre plaisir à lire une histoire d'action et de vengeance (rassurante et cathartique), tout en acquérant une compréhension plus concrète de la barbarie de la situation pour les individus qui composent cette population, à commencer par les enfants.

Au fur et à mesure de la plongée dans cet enfer, les qualités de Ponticelli se révèlent. Il dessine des personnages à la morphologie normale et ordinaire, évitant ainsi le risque de transformer chaque affrontement en ballet, ou en prouesse physique. Il sait transcrire l'apparence d'un camp de réfugiés, sans jouer sur une dramatisation excessive. Il sait rester sobre en dessinant la fillette privée de ses pieds, ce qui rend son existence de papier encore plus plausible et plus insupportable pour le lecteur. Il représente les armes diverses et variés avec un degré de réalisme suffisant pour que le lecteur puisse les reconnaître et être convaincu de leur existence. Il dispose d'une capacité assez rare : dessiner des enfants qui ressemblent à des enfants de par leur morphologie, leur comportement et leurs expressions. du coup le lecteur voit réellement des adultes interagir de manière normale avec des enfants qui se comportent conformément à leur âge, en s'étant adaptés à leur environnement. Enfin Ponticelli réussit le tour de force de ne jamais rendre la violence séduisante. Elle reste brutale, inhumaine, détestable, abominable et écoeurante. Il rend chaque personnage unique, avec une réelle présence physique, sans pour autant les idéaliser qu'il s'agisse des époux Moses, de Margaret Wells l'actrice aux bonnes intentions, d'Anna Anyayo (une jeune fille réfugiée dans une communauté religieuse) et la soeur Sharon Cavanaugh, ou même de l'intermédiaire louche Jack Lee Howl.

Ouvrir ce premier tome, c'est plonger dans une région du monde en souffrance à cause de la guerre, c'est découvrir les horreurs vécues par des individus de cette population, c'est ne plus pouvoir fermer les yeux sur le traitement abject réservé aux enfants. C'est également ressentir une forte empathie pour le personnage principal qui subit de plein fouet ces découvertes, mais aussi pour le Soldat Inconnu qui assouvit une vengeance permettant au lecteur de supporter ce qu'il découvre.
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