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Critique de LightandSmell


CHRONIQUE DE LA VERSION INTEGRALE

Je remercie Babelio et les éditions Bamboo, label Grand Angle, de m'avoir envoyé Kleos de Mark Eacersall, Serge Latapy et Amélie Causse en échange de mon avis.

Il est des récits qui déploient toute leur essence en étant lus d'une traite, Kleos en fait indéniablement partie ! C'est la raison pour laquelle je salue l'initiative de la maison d'édition qui propose aux clients le souhaitant de rapporter, jusqu'à la fin de l'année, le premier tome en librairie lors de l'achat de cette version intégrale. Une belle preuve de la capacité de l'éditeur à prendre du recul et à en tirer les conclusions qui s'imposent.

En tant que lectrice, j'ai d'ailleurs fort apprécié de recevoir l'histoire complète à la place du premier tome annoncé lors de la masse critique Babelio, et en remercie la maison d'édition. Je ne doute pas, en effet, qu'être coupée en plein milieu de l'histoire m'aurait quelque peu frustrée et aurait atténué la portée de cette aventure initiatique qui prend ses racines en Grèce en 499 av. J.-C. Nous y découvrons le jeune Philoklès, fils de pêcheur, plus intéressé par l'idée de se forger un destin glorieux que par les filets de pêche de son père. Et pour cause, bercé par les récits fondateurs de la culture grecque, notre jeune idéaliste se rêve en héros, ou du moins, en pourfendeur de torts. Cela tombe bien puisque des torts, son village tout juste pillé par des pirates, en a à déplorer !

Encouragé par le dirigeant du village ravi de se débarrasser de ce trouble-fête à la langue bien pendue, rappelant aux citoyens le manque de courage de ceux censés les protéger, il prend ainsi le large, la tête remplie des vers de L'Iliade et de L'Odyssée qu'il connaît par coeur. de bien faibles armes pour affronter ce qui l'attend… Car lui qui rêvait de gloire, va connaître les affres d'une réalité à laquelle son statut d'idéaliste et de fils de pêcheur incapable de naviguer ne l'avait pas préparé : naufrages, dangers, humiliations, agressions, viols, esclavagisme… Autant vous avertir tout de suite, Mark Eacersall et Serge Latapy ne nous épargnent rien : ni les dessous d'un monde grec violent et sans concession, ni la manière dont le destin d'un homme peut basculer en un instant dans ce monde dominé par les plus forts.

Au fil de l'aventure, notre apprenti héros va connaître différentes positions, de celle d'éphèbe découvrant les plaisirs de la chair à celle d'esclave, en passant par le statut plus enviable de conteur. Différentes vies, mais aucune ne le rapprochant de celle qu'il s'était imaginée et qu'il avait décidé de se construire en quittant son village. Difficile de ne pas compatir devant la déchéance et les malheurs de Philoklès, mais difficile également de ne pas être atterré par la naïveté avec laquelle il pensait pouvoir devenir un héros sans même avoir suivi un entraînement militaire ! Idéaliste, certes, mais surtout imbus de lui-même, du moins en début de périple, le jeune homme évoluant au gré de ses (mes)aventures. Il apprendra ainsi à choisir ses combats et à poser intelligemment ses pions en fonction de la dure réalité qui s'impose à lui et de ses talents, qui ne sont pas ceux qu'il espérait, mais qui n'en sont néanmoins pas réels et utiles.

Je ne me suis pas attachée à lui, mais j'ai été révoltée par les coups qui lui sont portés, les humiliations qu'il subit et j'ai été impressionnée par sa pugnacité, son instinct de survie, son intelligence des situations et cette maturité nouvellement et difficilement acquise. Ainsi, s'il reste toujours ce grand amoureux des récits fondateurs qui ont formé sa personnalité, il développe également une force de caractère plus prosaïque, lui permettant d'arracher, si ce n'est à coups d'épée, à coups de paroles et de ruse cette liberté qu'on lui a si violemment dérobée. de fil en aiguille, les enjeux de cette quête initiatique changent, poussant Philoklès à tronquer ses rêves de gloire de jeune homme idéaliste au profit d'une lutte acharnée pour sa survie. Un domaine dans lequel il se révèle plutôt doué !

Le scénario arrive à créer l'exploit de prendre son temps tout en allant vite, les auteurs faisant preuve d'une redoutable efficacité et implacabilité dans le déroulé de leur histoire. On ressort donc comblés de cette lecture, a fortiori quand l'on découvre une fin qui ne manque pas d'ironie, mais qui, surtout, s'impose à nous comme une fulgurance. Après tout, il ne peut y avoir de mythes et de légendes sans personne pour les écrire et les partager… Mark Eacersall et Serge Latapy nous offrent ainsi une vibrante ode aux conteurs et à une oralité qui s'est quelque peu perdue dans nos sociétés, mais qui semble ici fédératrice et source d'enjeux dépassant notre simple mortalité. À cet égard, la fin prend tout son sens et dévoile toute sa puissance, nous prouvant qu'aucune place n'a été laissée au hasard et que la boucle est admirablement bouclée.

J'ai, en outre, apprécié les multiples références à L'Iliade et L'Odyssée, toujours utilisées avec pertinence ainsi qu'une certaine modernité dans la manière d'aborder l'histoire. Au-delà du scénario, cette BD peut s'appuyer sur le magnifique travail d'illustration d'Amélie Causse, qui a insufflé la dose parfaite de poésie et de sensibilité à ses dessins pour contrebalancer la dureté des événements. La violence est toujours dépeinte avec justesse mais sans insistance, tout passant par la suggestion plutôt qu'une âpre démonstration. Ainsi, si la BD n'est pas tout public, elle n'en demeure pas moins accessible aux adolescents et aux lecteurs désirant être immergés dans un monde grec réaliste où le pire n'est pas occulté, mais jamais glorifié.

Pour ma part, j'ai été saisie par les expressions des visages, le jeu sur la lumière, les effets de mouvement de l'eau, les teintes chaudes offrant un contraste intéressant entre le fond et la forme, le cadrage et le découpage dynamique du récit, permettant de suivre l'action même quand la narration se fait oublier. Les auteurs ont, en effet, opté pour un scénario peu bavard et pourtant efficace qui permet à l'illustratrice d'exprimer son art avec une grande liberté et aux lecteurs de laisser parler leur imagination. Une imagination qui, portée par une ambiance graphique saisissante et particulièrement expressive, vient naturellement s'approprier des silences porteurs de sens.

Une symbiose entre le fond et la forme qui donne toute sa force à cette grande aventure initiatique, mais aussi humaine que je conseillerais à tous les amateurs de textes dans lesquels un homme se bat contre vents et marées avant d'embrasser sa destinée ! Un destin qui n'était pas celui qu'il espérait, mais un destin pour lequel il était fait… et qui rappelle qu'une histoire, même glorieuse, n'est rien sans celui qui la raconte. Kleos est une belle BD que je vous invite à découvrir dans sa version complète pour l'apprécier à sa juste valeur, d'autant que l'objet-livre en lui-même est de toute splendeur.
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