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Critique de Enroute


Lors de l'écriture de son texte, l'auteur postulerait les connaissances de son Lecteur Modèle qui comprennent ses connaissances sémantiques (qu'est-ce qu'un chat, un hibou), idéologiques (ce qui se fait en société, ce qui convient, ce qui est bien ou mal), mais aussi d'"hypercodage rhétorique" (quand on dit "ils sont mariés" c'est l'un à l'autre et non chacun de son côté) et de "frame" (les scénarios classiques de la fiction, ex : quand une victime est attachée à des rails, quelqu'un vient la délivrer (à cheval)).

Toutes ces informations seraient consignées dans une encycopédie qui serait propre à chaque lecteur. Les lecteurs cultivés peuvent, le cas échéant, constituer plusieurs encyclopédies et mobiliser le contenu de celle de leur choix selon l'angle de lecture qu'ils se donnent (l'Encyclopédie historique pour lire les Misérables ou l'Encyclopédie romantique ; l'Encyclopédie du Moyen-Age pour lire la Divine Comédie ou l'Encyclopédie Contemporaine). L'encyclopédie contient des entrées par mot et des propriétés pour chaque mot (père = adulte, masculin, humain, deux bras, deux oreilles, mortel, etc.). Ces propriétés sont illimitées mais convoquées seulement à mesure des besoins du texte (père = éducateur de x et on verra plus tard pour l'aspect mortel). Les propriétés non nécessaires sont "narcotisées" ou mises en attente.

Grâce à son encyclopédie, le lecteur interpète le texte au cours de sa lecture. Quand des hypothèses sont formulées ou des attentes créées (que va faire le personnage x), naît un monde possible. Il s'actualise si les événements supputés se réalisent ou est oublié. La totalité de la fabula représente une suite d'états d'un même monde, celui de la fabula, dans lequel, éventuellement, les personnages ont leur propre monde (x croit que et rêve que, y a l'intention de). Ce qui relie le monde réel du monde possible s'obtient par recensement des individus (personnages, choses, villes, etc) et des propriétés (lois, règles, conventions, etc.) du monde "réel" et du monde de la fabula. La lecture est donc une opération hautement intellectuelle et logique qui requiert une très grande lucidité sur l'état de ses connaissances propres et une analyse de véridicité constante des assertions du texte littéraire (en conformité avec les postulats de la logique modale).

On se demande où passe l'aspect esthétique et émotionnel de la lecture (et de l'écriture) dans cette conception exclusivement raisonnée de la lecture qui place le processus d'interprétation dans la véridicité des assertions proposées. Les explications postulées semblent davantage devoir cadrer avec des textes scientifiques qui ne visent en effet qu'à dire le vrai qu'à des textes de fiction qui précisément en jouent en activant d'autres mécanismes en complément de ceux de la raison pure. Il semble que réduire le langage à des formules mathématiques appauvrit sensiblement la capacité à produire et interpréter un contenu textuel, apparentée à une opération statique plutôt que dynamique, et le referme dans des codes objectivés qui nient l'expérience identitaire, existentielle et sensitive de la réalité. Si le langage était une mathématique, on ferait des sciences avec des mots et on ferait des romans avec des parenthèses, des intégrales et des fractions... et les ponts s'écrouleraient (mais ils seraient très interprétables) et la littérature serait d'un ch... (mais sans ambiguïté !)
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