AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Chahrazed11


Dans ce discours prononcé le 25 avril 1995 à New York et à l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération de l'Europe, le linguiste, traducteur et écrivain Umberto Eco nous permet d'imaginer la rencontre d'un petit italien des années 40 avec des mots aussi précieux que la liberté d'expression, la dictature ou le fascisme. Dans ce texte réédité en 2017, années de tous les populismes, Eco nous raconte également sa renaissance en tant qu'homme libre occidental qui a enfin compris le sens complexe du terme liberté, un matin du 27 juillet 1943.
Pour veiller à ce que le sens du mot liberté ne soit pas oublié, l'auteur dresse une liste de caractéristiques pour reconnaitre ce qu'il nomme ici l'Ur-fascisme (le fascisme primitif/éternel). Car dit-il: " L'Ur-fascisme est toujours autour de nous, parfois en civil."
Parlant de son expérience personnelle et de son pays, il reconnait que "Le fascisme italien fut le premier à créer une liturgie militaire, un folklore, voire une mode vestimentaire _ laquelle eut plus de succès à l'étranger qu'Armani, Benetton ou Versace." (Eco 2017:24). Ainsi, peut-on se demander si la mode vestimentaire qu'est le « voile » n'est pas tout simplement un instrument du fascisme islamique qui s'est inspiré lui aussi du fascisme éternel et primitif italien ? En effet, Eco nous a alerté des différentes formes du fascisme et de l'ambiguïté qui l'entoure. Il explique en gros que les fascistes utilisent tous l'un ou l'autre des caractéristiques de l'Ur-fascisme : du fascisme éternel ou primitif. Parmi ces caractéristiques, on peut observer le culte de la tradition ou le traditionalisme, l'irrationalisme, le rejet du modernisme (considéré comme une dépravation), le culte de la mort, de l'héroïsme, le racisme, le sentiment permanent d'être humilié, d'être dominé par un ennemi étranger et/ou intérieur, le sentiment d'être attente d'une fin qui donnera suite à une ère de paix, l'obsession du complot…
Le « traditionalisme » dit-il est plus ancien que le fascisme dont la conséquence principale est qu'« il ne peut y avoir d'avancée du savoir ». La vérité a déjà été énoncée une fois pour toutes et l'on ne peut que continuer à interpréter son obscur message. Ce qui me rappelle fortement nos imams qui nous expliquent en permanence ce qui ne peut être discuté en religion (héritage, voile, mariage, bref, tout ce qui concerne les femmes ne doit pas être altéré...). Ce traditionalisme donc implique le refus du modernisme et la condamnation du mode de vie capitaliste mais surtout le rejet de l'esprit de 1789, le siècle des Lumières, l'Âge de la Raison, conçus comme le début de la dépravation moderne. En ce sens, l'Ur-fascisme peut être défini comme un « irrationalisme ». L'irrationalisme considère la culture comme suspecte lorsqu'elle est identifiée comme une « attitude critique ». De là vient la haine de l'intellectuel considéré comme celui qui a abandonné les valeurs traditionnelles (regardons le triste destin des intellectuels arabes. La liste des intellectuels critiques morts et condamnés à mort est très exhaustive). Eco explique que « La suspicion envers le monde intellectuel a toujours été un symptôme d'Ur-fascisme (…) pour l'Ur-fascisme, le désaccord est trahison.» (p38-39). L'Ur-fasciste est également raciste et promeut la peur de l'autre, du différent. L'Ur-fascisme fait appel aux classes défavorisées par une crise économique ou une « humiliation ». Quant à ceux qui n'ont aucune identité sociale, l'Ur-fascisme propose le nationalisme. L'obsession du complot, si possible international. « Le moyen le plus simple de faire émerger un complot consiste à en appeler à la xénophobie. ». Les disciple de l'idéologie fasciste doivent se sentir humiliés par la richesse ostentatoire et la force de l'ennemi. Les fascismes sont condamnés à perdre leurs guerres. Pour l'Ur-fascisme, "il n'y a pas de lutte pour la vie, mais plutôt une vie pour la lutte". Le pacifisme est alors une collusion avec l'ennemi: "le pacifisme est mauvais car la vie est une guerre permanente. ». Mais le fascisme attend la solution finale qui implique qu'il s'ensuivra une ère de paix, un âge d'or venant contredire le principe de guerre permanente. Autre caractéristique de ce fascisme éternel, l'élitisme et le mépris pour les faibles qui ont besoin d'un dominateur, d'un interprète de la volonté commune. C'est ce que Eco appelle « l'élitisme de masse ». Si dans toutes les mythologies, le héro est un être exceptionnel, dans l'idéologie Ur-fasciste, le héros est la norme. Un culte de l'héroïsme étroitement lié au culte de la mort. Le héro Ur-fasciste est impatient de mourir et « dans son impatience, il lui arrive plus souvent de faire mourir les autres. ». Lorsque la guerre permanente et l'héroïsme sont des jeux difficiles à jouer, l'Ur-fasciste transfère sa volonté de puissance sur des questions sexuelles. Là nous dit Eco est l'origine du machisme, du mépris des femmes et de la condamnation de la liberté sexuelle. L'Ur-fascisme se fonde également sur un populisme qualitatif. Le « peuple » est conçu comme une entité monolithique exprimant la volonté commune. Le leader se veut leur interprète. Le peuple devient une « fiction théâtrale ». L'Ur-fascisme parle la « novlangue » ( Orwell 1984). Au peuple on sert un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire, afin de limiter les instruments de raisonnement complexe et critique. Ainsi, "L'Ur-fascisme est susceptible de revenir sous les apparences les plus innocentes. Notre devoir est de le démasquer, de montrer du doigt chacune de ses nouvelles formes _ chaque jour, dans chaque partie du monde. " (Eco 2017:50)...
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}