Citations sur Du rififi à Wall Street (15)
Laser volait par cynisme, Tar par philanthropie : deux manifestations d’un même orgueil, deux faces d’une seule vérité. Soudain, je regrettai de ne pas pouvoir terminer mon livre. Car j’aurais atteint mon objectif de départ, j’aurais cerné la vérité au moyen de la fiction, en montrant la terrifiante diversité du capitalisme.
Je connais peu d'auteurs à l'aise dans le genre pornographique. Les écrivains ont des parents, parfois aussi des enfants, et la perspective que les uns et les autres tombent sur leurs récits de braguette n'a rien de particulièrement réjouissant.
Au fond, travailler sous pseudonyme pour une collection de seconde zone m’avait désinhibé. J’avais écrit sans me soucier de la critique, en présumant que mes lecteurs seraient rares et peu exigeants. N’ayant ni réputation à défendre, ni à me préoccuper de la place que ce nouvel opus prendrait dans mon œuvre, j’avais donné libre cours à ma verve, sans sentir derrière mon épaule le regard désapprobateur de mes maîtres en littérature. Bref, je découvrais un peu tard les vertus de la littérature sous contrainte : forcez un écrivain à composer un livre sans utiliser la lettre « e » ou à en situer l’action dans une station météorologique au Groenland et il vous révélera le fond de son âme plus sûrement que si vous lui laissiez carte blanche. Nos obsessions trouvent toujours à s’exprimer, surtout quand elles ont l’impression qu’on cherche à les en empêcher.
Certaines répliques commencèrent à circuler dans le monde de la finance : le peu distingué "Je t'emmerde et je baise ta femme", comme le plus subtil "Je crois à la division des tâches" ou le lamentable "Si vous souillez votre pantalon, je vous le rembourserai".
Comme tous les grands groupes, General Motors, Ford et Chrysler sont tenus de constituer des réserves pour faire face au paiement des futures retraites de leurs employés. Ces réserves sont investies en actions et en obligations, et, à l’occasion, dans des supports plus exotiques comme des gisements de matières premières ou des parts de sociétés non cotées. Naturellement, quand la bonne conjoncture boursière gonfle les portefeuilles, ces entreprises ont tendance à surseoir à leurs versements annuels, préférant récompenser maintenant leurs actionnaires sous la forme de copieux dividendes qu’assurer la sécurité financière d’ouvriers qui ne partiront pas à la retraite avant vingt ou trente ans.
- Et tweete davantage, bon Dieu, on jurerait que tu n'as rien à dire.
- C'est que je suis écrivain, pas bateleur de foire.
- Alors, poste de fausses critiques à ta gloire sur Goodreads. Prends exemple sur Dan Brown, il parait qu'il ne laisse à personne d'autre le soin d'écrire les siennes.
Cette préface (Cercueils sur mesure de Truman Capote), à laquelle j’avais à peine prêté attention à l’époque, était capitale. Car elle disait que pour cerner le vraiment vrai, il était parfois nécessaire de sacrifier le vrai tout court ; ou, dans le cas présent, que pour parvenir à l’essence du meurtre diabolique, il était permis de conglomérer plusieurs affaires distinctes. Je comprenais les réserves que pouvait inspirer une telle approche. En qualifiant son texte de « récit véridique », Capote avait peut-être poussé le bouchon un peu loin. Mais personnellement, cela m’était égal, car il avait atteint à un degré de vérité incomparable. De même que l’Autoportrait à l’oreille coupée était plus authentique que n’importe quel selfie, Capote avait produit un faux plus vrai que nature.
(…)
Quel était mon projet à l’origine ? J’avais rêvé d’écrire un roman d’un genre nouveau, à mi-chemin entre la fiction et la réalité, afin d’exprimer l’essence profonde de Black et de son dirigeant. Tar ne m’avait pas laissé aller au bout de mon idée, mais celle-ci n’avait, selon moi, rien perdu de sa puissance. N’avais-je pas d’ailleurs atteint mon but sans le savoir ? Car, à la réflexion, ma peinture transposée de Black était plus conforme à la vérité que l’insipide monographie pour laquelle on m’avait engagé. La fiction s’était, une nouvelle fois, révélée plus pénétrante que le journalisme d’investigation. Je comprenais à présent pourquoi Truman Capote s’était permis d’agréger plusieurs affaires distinctes pour écrire Cercueils sur mesure : son texte romancé exprimait la vérité mieux que tous les rapports de police du monde réunis.
On ne pouvait nier qu’il fût un écrivain : il vivait de sa plume, révérait Faulkner et possédait pas moins de douze dictionnaires. D’un autre côté, je ne l’imaginais pas s’arrachant les cheveux sur une phrase et encore moins soucieux de laisser une œuvre qui lui survivrait. Tom était une créature hybride, un auteur qui ne prétendait pas être un artiste, un homme de lettres plus préoccupé par son plan de retraite que par sa postérité.
Je prends la peine de préciser ce point car un malentendu circule sur les écrivains. Il se dit que nous piloterions nos personnages comme des automates. Rien n’est plus faux. Une fois jeté sur le papier, un personnage cesse d’obéir à son créateur. Il prend une vie propre, développe des penchants alcooliques ou se révèle incroyablement vulgaire au moment où l’on s’y attend le moins. Tom était né sans crier gare dans mon imagination. Nous devions maintenant faire connaissance.
J’avais souvent regretté d’avoir quitté le Wall Street Journal en 2007, juste avant que n’éclate la crise financière. « C’est quand la marée se retire qu’on voit qui nageait tout nu », a coutume de dire Warren Buffett. Le reflux des marchés et la fin de l’argent facile avaient mis au jour un véritable musée des horreurs : les appartements en construction qui changeaient trois ou quatre fois de main pendant les travaux ; les municipalités endettées à taux variable dans des monnaies exotiques ; les banques suisses qui enseignaient à leurs clients comment frauder le fisc…