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Critique de berni_29


Nous sommes dans le début des années quatre-vingt-dix, à Tbilissi, capitale de la Géorgie, ou plus précisément dans sa banlieue. L'URSS vient de s'effondrer, mais certains héritages du passé soviétique sont encore présents, notamment l'« école des idiots » de la rue de Kertch, une institution qui accueille des enfants handicapés mentaux et d'autres qui ont été abandonnés.
C'est là que nous faisons connaissance avec la jeune Lela, dix-huit ans, elle est aujourd'hui la plus ancienne des pensionnaires du lieu, ce qui lui confère désormais un statut un peu particulier, celui d'endosser le rôle de protectrice, réconfortant les autres enfants et les encourageant à étudier, afin qu'ils puissent un jour quitter au plus vite cet endroit et commencer une nouvelle vie.
Ce qui surprend d'emblée dans la rencontre avec Lela, c'est son caractère, farouche, déterminé et cette parole qu'elle répète de manière presque incantatoire : « Il faut que je tue Vano. » Vano, c'est ce professeur d'histoire...
Rue de Kertch et autour du quartier, la vie est fragile et violente. Des enfants vont et viennent, parfois on les croirait livrés à eux-mêmes. L'ère post-soviétique se cherche encore un peu, tâtonne dans cet esprit débridé, cette soif de liberté dans des décors délabrés, tandis que des enfants grandissent et affrontent ce nouveau monde avec des envies d'oiseaux dont les ailes sont encore bien fragiles, parfois meurtries.
Lela prend sous sa coupe le jeune Irakli âgé de neuf ans, qui ne parvient pas à accepter que sa mère ne viendra jamais le chercher. Lela devient alors comme une mère, comme une soeur pour le petit Irakli qui n'en finit pas de passer des coups de fil à une mère au loin là-bas on ne sait pas où et qui s'efface peu à peu, se dérobe, s'apprête à devenir invisible.
Rue de Kertch est un endroit peuplé d'enfants comme Lela, Irakli, comme tant d'autres, un endroit peuplé de rêves et d'illusions, la mort rôde, n'est jamais loin, la violence des hommes aussi avec des regards de prédateurs... Sortir de l'institution, franchir le quartier, aller plus loin, parfois devient dangereux... Nous sommes dans l'ère post-soviétique... On se croirait ici au bout du monde, un endroit où l'on ne peut pas aller plus loin.
C'est un récit qui se pose dans un monde qui tente de se reconstruire.
Un jour, un couple d'Américains contacte l'institution par l'intermédiaire d'une certaine Madonna, - non ce n'est pas la Madonna que vous connaissez et que vous adorez -, ils ont un projet d'adoption...
Ce texte fulgurant et vorace, douloureux aussi parce qu'il s'agit d'une histoire d'enfants bousculés, malmenés, abandonnés, est écrit à hauteur d'une adolescente de dix-huit ans, Lela, formidable personnage aussi attachante qu'intransigeante, déterminée à échapper à son destin qui entraîne l'ensemble du récit et ses personnages dans une rencontre inouïe et émouvante.
J'ai été happé par ce récit qui sent la tendresse parfois abimée comme du verre brisé, les herbes folles, des cauchemars qu'ont parfois les enfants en pleine nuit, le goût amer des poires cueillies dans un verger au milieu de nulle part...
L'écriture est simple, mais suffisamment évocatrice pour me séduire et m'entraîner vers cette rue de Kertch, au bout de l'enfance, brisée, révoltée, celle qui n'a rien demandé à personne, qui ne demandait qu'à jouer comme les autres enfants avec des jeux de leurs âges, grandir, s'épanouir, comme des fruits dans un verger.
Le Verger de poires, c'est comme un huis-clos qui dit tout cela, avec pudeur, retenue, parfois une forme d'humour décalé, il y a de la joie aussi par moments dans ce lieu, ce texte n'est jamais larmoyant et c'est sa force aussi, celle qui nous entraîne presque naturellement dans les pas de ses enfants comme si nous vivions parmi eux.
Nana Ekvtimichvili, ayant habité longtemps à proximité d'un endroit qui ressemble de très près à cette « école des idiots », nous en restitue l'authenticité fragrante qui nous émeut.
C'est un récit empli d'humanité, de tristesse, d'espoir aussi, car cette maison est un endroit qui permet à des enfants l'apprentissage vers un ailleurs peut-être meilleur, qui sait, mais là c'est une autre histoire.
Plus tard, je me suis demandé ce qu'étaient devenus Lela, Irakli, leurs autres camarades aussi, Gilda, Stella, Levan... Je ne cesse ce soir de penser à eux. C'est le signe que cette lecture m'a touché au coeur.
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