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Critique de Apoapo


Relecture (après environ 18 ans) :
Ce roman est complexe et polysémique, pourtant son rythme et la maîtrise parfaite de sa construction le rendent addictivement accrocheur.
Au premier niveau, le narrateur Eusebiu Damian, le secrétaire du grand écrivain vieillissant et en panne d'écriture A.D. Pandele, assiste et est personnellement impliqué dans la tentative d'anamnèse de celui-ci, confronté à l'impératif de se souvenir de ses actes accomplis la nuit de Noël 1938 (28 ans avant le temps de l'action narrative) dont découlèrent la naissance d'un fils inconnu et son abandon de l'écriture dramaturgique. Dimitri, son fils retrouvé, et la fiancée de ce dernier, Niculina, tous deux acteurs de théâtre talentueux, l'y feront parvenir, mais conséquemment les trois disparaîtront définitivement dans une dimension parallèle, dont Eusebiu Damian sera seul à revenir. le côté ésotérique du roman est ainsi mis en avant, avec quelques indices d'apparitions et disparitions et sauts temporels tout au long de la trame, y compris dans le symbole convoqué par son titre.
Au deuxième niveau, l'anamnèse ainsi que le « déplacement » dans l'autre dimension s'opèrent grâce au pouvoir cathartique du théâtre (écrit ou lu outre que représenté), de la danse, de la musique. Cette idée de la catharsis chorégraphique et dramaturgique avait déjà été formulée par Antonin Artaud, mais Mircea Eliade la met ici en relation avec la psychanalyse jungienne, par la capacité que le théâtre possède de se rattacher aux mythes et aux archétypes : dans ce roman, il est question de plusieurs mythes : antiques (Orphée et Eurydice), récupérés par le christianisme (Orphée égale Jésus) ou proprement chrétiens (Pierre et Simon le Mage), ainsi que relatifs à l'épopée nationale roumaine. Il est suggéré que l'accession aux archétypes s'opère par la transe permise par les actions scéniques. Par contre, la résistance à cette lecture de l'oeuvre théâtrale – que l'on pourrait qualifier de « chamanique » – comme s'y obstine Eusebiu pendant qu'il dactylographie les pièces de son « patron », le condamne à l'incompréhension totale de ces textes et de ce qui lui arrive dans la vie (ainsi qu'à l'insomnie chronique) que même un voyage en Inde ne sait éclairer.
Au troisième niveau, cette catharsis théâtrale constitue le seul moyen d'atteindre une liberté absolue, dont la modernité et les régimes politiques afférents – en particulier le communisme (le roman, écrit entre la France et les États-Unis en 1978-1979 a pour cadre la Roumanie des années 1966-1969) – tendent à déposséder les citoyens de plus en plus sévèrement. le personnage principal, Pandele, qui redevient frénétiquement et prolifiquement dramaturge et critique théâtral, ainsi que son inspirateur et collaborateur, le mystérieux scénographe, réalisateur de cinéma et impresario Ieronim Thanase se défendent de donner de cette liberté absolue une signification uniquement ou principalement politique, mais la trame du roman ajoute un aspect d'intrigue politique haletant, avec une conspiration au sommet de l'État et l'enquête de l'inquiétant inspecteur Albini, travaillant pour la Securitate tout en étant féru de littérature gnostique.
Je ne sais plus, lors de ma première lecture, lequel de ces niveaux avait attiré le plus mon attention, sans doute le dernier, mais à présent je peux dire que les trois possèdent la même importance et que telle fut certainement l'intention de l'auteur.
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