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Critique de colimasson


Bret Easton Ellis est devenu grand mais il ne suffit pas de laisser filer le temps ; il faut aussi savoir dresser le bilan d'un certain passé. Ainsi, le récit de Lunar Park commence à la manière d'un mea culpa. Bret Easton Ellis s'est assagi au tournant de la quarantaine et, chargé de cette décennie supplémentaire, il évoque les années d'American Psycho (décennie de la vingtaine) et de Glamorama (décennie de la trentaine) comme de lointaines périodes qui semblent désormais loin de lui. Mais les cris d'orfraie les plus virulents ne sont-ils pas poussés par ceux qui savent être le plus en droit de s'inquiéter ?


Le succès, la gloire, les relations artificielles, la drogue, les filles faciles, les grands lofts et les voitures hors de prix ont fait leur temps. Après s'être laissé charmer par les avantages de la gloire violente, Bret Easton Ellis a connu une période de dépression profonde et d'hallucinations provoquées par le manque de ces drogues dont il a essayé de se passer –pas particulièrement pour se sauver lui-même, mais bien plutôt pour rattraper les lambeaux d'une gloire finalement aussi éphémère qu'elle lui avait d'abord semblé éternelle. Au moment où il écrit Lunar Park, Bret Easton Ellis vit une autre forme de rêve américain : marié, père de deux jeunes enfants de treize et sept ans, propriétaire d'une demeure avec piscine, passant son temps entre cours à l'université, dîners avec les amis de la famille –d'autres couples avec enfants- et activités de développement personnel.


Pour autant, tout ne va pas pour le mieux. Au début, pourtant, Bret Easton Ellis tente de nous en persuader, mais l'aspect idyllique de sa nouvelle existence est bientôt perturbé par deux phénomènes : dans la région où il habite, la disparition d'enfants des beaux quartiers fait régner la psychose tandis que dans sa nouvelle demeure, des manifestations inexplicables transforment son habitation en maison hantée. Peut-on se racheter une bonne conduite avec une épouse, des enfants et une baraque ? Est-il si aisé de se détourner d'un passé marqué par deux décennies d'errance et d'illusions ?


Une fois encore, après American Psycho, Bret Easton Ellis mêle la réalité et la fiction dans des mesures dont il sera difficile d'appréhender la juste valeur. Cette vie de famille classique –bien qu'aisée- semble parfaitement crédible alors qu'en réalité, Bret Easton Ellis n'a jamais été marié. En revanche, plus fictives semblent être ces manifestations de revenants qui se produisent dans sa maison –est-ce Patrick Bateman, le héros sanguinaire d'American Psycho, ou est-ce son père avec qui il a rompu tout contact ? Et le criminel qui rôde autour des gosses de riches pour les capturer ne fait parler de lui que de loin, mystérieuse arlésienne dont les actes entraînent pourtant des conséquences dramatiques. Mais le roman passe, et la tendance s'inverse. La famille modèle montre ses failles et devient aussi volatile qu'un rêve, tandis que les disparitions et les revenants prennent de l'ampleur et finissent par envahir la vie et l'esprit de Bret Easton Ellis.


Celui-ci avait pensé pouvoir faire une croix sur son passé, rapidement et sans séquelles -il remarquera bientôt, avec une culpabilité mégalomaniaque, que l'artificialité et l'individualisme de son mode de vie passé ont atteint toute une génération –celle qui succède à la sienne. Les enfants de Lunar Park sont de petits êtres effrayants qui déambulent, tels des zombies dopés au Ritalin. Ils vagabondent d'une activité à une autre –reiki, yoga, cinéma, centre commercial, pilates, psychologue…- et acceptent de se plier aux exigences les plus loufoques de leurs parents, au prix d'un désenchantement et d'une lucidité qui ressurgissent dans des dialogues surréalistes. Par ailleurs, le spectre de Patrick Bateman se fait de plus en plus oppressant et envahit un Bret Easton Ellis qui semble de nouveau perdre pied dans la réalité –savant fou créateur d'un monstre dont l'horreur et le goût sanguinaire le dépassent désormais. Bret Easton Ellis se sent responsable de l'avidité malsaine qu'il ressent autour de lui, et Lunar Park ressemble à une tentative d'expiation de sa culpabilité.


Bret Easton Ellis aurait-il envie de cesser de rire aux dépens de ses semblables, maintenant qu'il réalise que ses mauvaises blagues ne l'excluent pas non plus de leurs retombées funestes ? Après Lunar Park, on se demande si Bret Easton Ellis va pouvoir continuer à écrire comme avant. Si oui, alors ce roman n'aura été qu'une vaste blague. Reste à savoir si cela nous décevrait…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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