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Critique de LiliGalipette


On découvre la ville de Los Angeles, en pleine construction et mutation. On assiste à la descente du panneau de promotion immobilière qui trônait sur les collines de la ville. Hollywoodlands n'est plus, voici Hollywood, terre de mirage, miroir aux alouettes pour starlettes crédules qui seront broyées par une industrie vorace. le parc d'attraction Dream-A-Dreamland, inauguré dans le troisième volet, est une parfaite illustration du mensonge que les puissants servent à la population pour l'endormir.

Les 1950's, décennie particulière, se prête particulièrement au roman : dans le Grand Nulle Part, « l'inspecteur adjoint Danny Upshaw émit la prédiction que les années cinquante allaient être une décennie de merde. » (p. 14) Pourquoi ? Parce que la seconde guerre mondiale colle encore aux basques de tout le monde, parce les émeutes zazous sont encore dans toutes les mémoires et que l'air du temps alimentera les préjugés raciaux au-delà de toute mesure. James Ellroy excelle véritablement dans l'art de reprendre à son compte des faits réels – faits divers, Histoire, personnages historiques – pour les détourner et en faire de la matière à littérature. Dans son grand pressoir-hachoir, il mélange le vrai pour prêcher un faux aux allures du plus réel des tableaux.

Les romans de James Ellroy prennent aux tripes et les remuent. Ce ne sont pas des romans policiers traditionnels. L'auteur prend plaisir à balader ses flics – et son lecteur – pour mieux les balayer et les broyer afin d'en faire de nouvelles victimes expiatoires d'une ville puant le crime. Los Angeles incarne les nouvelles Sodome et Gomorrhe. Ce que montre James Ellroy, après tout, c'est que le crime a tous les visages et se dissimule derrière chaque porte. C'est cela que l'auteur rappelle en mettant à mal ses personnages et les règles iques du roman policier. La découverte du coupable n'est finalement pas ce qui compte le plus, même si l'on suit avec avidité les enquêtes. le plus important, ce sont les découvertes intimes que chaque personnage fait sur lui-même. En partageant l'intimité mentale des flics et en suivant leurs raisonnements, on les accompagne dans des révélations fracassantes qui ne leur laissent que peu de chance d'en réchapper. James Ellroy n'est pas tendre avec ses flics, il les malmène et les expédie ad patres en quelques lignes. Arrivés au bout d'eux-mêmes et investis de leur vérité propre, ils ne peuvent plus résister à Los Angeles ni au roman et doivent quitter la scène.

Alors se pose la question de la définition du héros selon James Ellroy. Est-ce celui qui a essuyé le feu ennemi pendant la guerre ? Celui qui suit la ligne droit de la justice et de la loi ? Celui qui ne commet pas de crime ? Il semble plutôt que le héros soit celui qui ose regarder au fond de lui-même si cette introspection doit être fatale. Pessimiste Ellroy ? Peut-être. Mais il faut lui reconnaître le mérite de ne pas s'illusionner sur la grandeur et la valeur des hommes.

Ici, les jouissances sont toujours sales et malsaines. Les plaisirs sont pervers et les déviances innommables. Sous la plume de James Ellroy, le sexe est sordide. Dans le Grand Nulle Part, il souligne que « la perversion était abominable mais l'excitation était continuelle, à se sentir pareil à un glouton qui rôderait dans les ténèbres d'une maison inconnue vingt-quatre par jour. » (p. 606) Les personnages d'Ellroy ont tous les droits d'être infâmes, ils sont de papier. Ce à quoi parvient l'auteur est plus subtil et plus pervers : il fait de ses lecteurs les témoins et les complices des ignominies qu'il couche sur le papier. L'addiction est intense. Je ne saurais expliquer la fascination qui m'a saisie lors des descriptions macabres ou lors des interrogatoires et des enquêtes où les flics fouillent la merde pour en tirer l'immonde.

Les services de police sont loin d'être propres, « les meilleurs des meilleurs » excellent surtout dans le détournement de la loi. La corruption et la coercition sont au service des intérêts personnels les plus divers et des ambitions les plus démesurées. Un dialogue tiré de L.A. Confidential illustre la ligne de conduite suivie par les services de l'ordre : « - Pensez-vous qu'il faille autoriser l'existence d'une certaine fraction du crime organisé afin qu'elle perpétue certains vices acceptables qui ne font de mal à personne ? - Bien sûr, une façon de défendre les intérêts de l'électorat. Il faut bien laisser un peu de mou sur la ficelle. » (p. 91) Puisque chacun est coupable, d'une façon ou d'une autre, il n'est pas possible et pas souhaitable de tout réprimer. Ainsi se justifient les alliances avec les gangsters, les trafiquants de drogues, les maquereaux, les prostituées et les autres membres qui constituent la lie de la société dans laquelle les flics aiment à se rouler. La police telle que l'a décrit James Ellroy use de méthodes expéditives, brutales, qui flirtent ou embrassent à pleine bouche l'illégalité. La violence exercée par les policiers est justifiée dès le début par Lee Blanchard qui énonce en dogme que « y a des gens qui réagissent mal quand on est gentil avec eux. » (p. 78 – le Dahlia Noir) La manière forte a pleine légitimité dans un monde violent. Et pourtant, en public, les forces de l'ordre font profession hypocrite de bonne foi : « Les policiers étaient sujets aux mêmes tentations que les civils mais ils avaient besoin de maîtriser leurs instincts les plus bas dans une plus large mesure afin de servir d'exemples moraux à une société sapée de plus en plus par l'influence envahissante du communisme, du crime, du libéralisme et de la turpitude morale générale. » (p. 354 – L.A. Confidential) Il ne faut pas faire confiance aux forces de l'ordre pour faire régner la loi mais il ne faut pas impunément en faire état.

L'affaire du Dahlia Noir plane et les flics craignent les ravages de la presse. Les rapports de polices falsifiés s'opposent aux articles de journaux discrédités : l'information est sans cesse soumise à caution. Il est impossible de faire confiance aux écrits formels et officiels. Alors que ces documents devraient éclairer les affaires, fournir des indications solides et étayer les enquêtes, le flou s'installe encore plus. Leur forme même, circonstanciée – même pour les articles à scandales du journal L'Indiscret – porte le sceau du mensonge, du faux. le mieux est encore de suivre le cheminement tortueux des raisonnements des policiers, seul gage d'accès à la vérité. On l'aura compris, pour Ellroy, la presse ment et les documents n'ont d'officiel que le papier sur lequel ils sont rédigés.

James Ellroy réserve un traitement particulier aux femmes : quand elles ne sont pas découpées en rondelles, elles sont battues à mort. Èves déchues et coupables, elles se dissimulent derrière chaque crime. « Cherchez la femme » est un tuyau récurrent que s'échangent les flics et les indics. L'auteur l'a souvent expliqué : il a écrit le Dahlia Noir pour exorciser le traumatisme qu'il garde de l'assassinat de sa mère alors qu'il était enfant. Dans chaque femme qu'il décrit, il y a un peu de sa mère. Peu de femmes échappent à la règle sordide de James Ellroy. Les femmes fortes et solides, comme Kay, sont rares et d'autant plus précieuses. Dans la même veine de catharsis, les figures paternelles ne sont pas des exemples à suivre. Les pères ou substituts (maquereaux, chefs de police, magistrats, etc.) sont manipulateurs, menteurs et habiles dissimulateurs. de la grande comédie du monde, James Ellroy semble dire que peu méritent d'êtres sauvés.

Des personnages récurrents prennent place dans le récit et se développent au fil des volets. Ellis Loew est un adjoint au procureur qui magouille en beauté pour être élu procureur. de l'avis des agents du L.A.P.D., « c'était un requin de Juif magouilleur, un homme de loi et un sacré fils de pute. » (p. 31 – le Grand Nulle Part). Mickey Cohen amorce une trajectoire descendante : de premier gangster de la ville, il n'est plus rien au sortir de la prison. Incapable de récupérer son empire, il va de désastres financiers en humiliations alors que ses bras droits sont assassinés les uns après les autres. Enfin, il y a Dudley Smith : il est le seul flic du L.A.P.D. à se tirer d'affaire à chaque fois.

La musique et tout particulièrement le jazz ont une place fondamentale. le jazz est la bande originale d'une ville et d'une époque qui se cherchent. Langoureuse, mélancolique ou hystérique, la mélodie se fait obsédante à mesure que chaque intrigue progresse. ♪ ♫ Pour finir sur une note légère, j'ajoute que j'ai découvert un nouveau sens au mot « chouquette ». Je ne regarderai plus ces pâtisseries du même oeil...
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