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Critique de PhilippeCastellain


Peu de coins de France peuvent se targuer d'un attachement de leur population tel que l'Alsace (quoi les Bretons ? S'ils tenaient tant que ça à leur région, il n'y en aurait pas autant à Montparnasse !) et Erckman-Chatrian, écrivain à quatre mains, en est le chantre incontesté. Si on peut le considérer comme le père de la littérature régionaliste, cette oeuvre-ci détonne assez parmi sa nombreuse production. On y trouve pourtant tous les thèmes habituels : légendes, châteaux en ruines, robustes natif alsacien, truites et vins du Rhin… Mais le tout sans sa bonhommie habituelle, et au contraire habitée d'un refus violent, intransigeant et radical de toute modernisation.

Maitre Daniel Rock est le forgeron d'un petit village au pied des Vosges. Avec ses trois robustes fils, il ferre les chevaux, fabrique et répare les outils. Il compte parmi les familles les plus anciennes du pays, les notables, ceux qu'on respecte. Peu de choses ont bougé en cet endroit depuis le temps des chevaliers, si ce n'est que le vieux château sur la colline n'est plus qu'une ruine. La vie suit son cours, paisible, entre moissons, vendanges et laboures.

Un jour, débarque toute une nichée de parisiens. Un groupe de jeunes ingénieurs, accompagnés (accessoire indispensable) de quelques cocottes à la mode. On va construire une voie ferrée ! Les jeunes urbains, avec leurs costumes à la mode et leurs habitudes de consommation moderne, font sensation dans le pays. Ils se sentent partout chez eux, s'étalent sans complexe, et ne se privent pas de plaisanter sur la grossièreté des ‘'triboques''. D'un seul coup, tout le Paris de la Belle Epoque fait irruption dans un village presque médiéval. La plupart des gens sont fascinés, mais Maitre Rock est ulcéré par l'arrogance des jeunes gens. Quand ils viennent baliser le tracé sur ses terres, la rencontre sera rugueuse…

Une oeuvre totalement, ouvertement et irréductiblement passéiste. L'abandon des modes de vie et des valeurs, l'uniformisation (voir ‘parisianisation') de l'Alsace, la perte de toute une culture, déclenchent chez nos auteurs une violente et brillante riposte. L'arrivée du chemin de fer est décrite comme une invasion culturelle ; l'enthousiasme pour les nouvelles modes comme une trahison générale. Un antisémitisme traditionnel est, il faut le dire, également présent : le juif du pays, grâce à d'habiles spéculations, devient riche ; l'ancien vendeur de peaux de lapins devient – scandale ! – un notable équivalent aux vieilles familles.

Une oeuvre que sociologues et ethnologues pourraient analyser pendant des heures. Mais on ne peut rester insensible au désarroi du vieil homme.
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