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Critique de Apophis


Tel est pris qui croyait prendre

Malgré un titre qui est la traduction de Deadhouse Gates, second tome du cycle du Livre Malazéen des glorieux défunts, et une couverture française qui signale que ce livre est précisément cela, il ne s'agit en fait que d'une partie du tome 2 de la VO (c'est bon, vous suivez ?). Pour lire la totalité de ce dernier, il vous faudra Les portes de la maison des morts plus La chaîne des chiens, ce dernier étant fort improprement dénommé tome III du cycle par l'éditeur français alors qu'il ne s'agit en fait que du 2.5.

Je ne vais pas revenir sur les (nombreuses) particularités du cycle, si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, je vous invite à vous reporter à la critique du tome 1. Mais entrons plutôt dans le vif du sujet (je précise qu'à partir de maintenant, si je parle de tome 2 ou 3, il s'agira de ceux de la VO, je ne compte pas adopter la numérotation de l'éditeur français : pour désigner le tome III de la VF, j'emploierai désormais l'expression tome 2.5).

- Continuité avec le tome 1 ou pas ?

Je savais que le tome 2 ne suivait pas l'intrigue principale du tome 1 (ce sera le cas des événements du tome 3, qui sont au passage supposés se dérouler simultanément par rapport à ceux du tome 2), et j'avais entendu dire qu'on ne retrouvait qu'une minorité de personnages du tome 1. Ce dernier point n'est qu'assez partiellement exact : tout compte fait, on retrouve pas mal de têtes connues : Kalam l'assassin, Crincrin (qui se fait appeler Fiddler, maintenant), Apsalar (ex-Mes Regrets), Crokus (le cambrioleur de Darujhistan), ainsi que Ben le Vif qui est souvent mentionné et surtout les deux soeurs de Ganoes Paran.

Tandis que l'une d'elles, Tavore, est devenue la nouvelle Adjointe de l'Impératrice, l'autre, Felisine, est victime des purges ordonnées par l'Empire Malazéen contre sa propre noblesse. Elle se retrouve esclave, et offre son corps à quiconque peut assurer sa survie ou un meilleur confort non seulement à elle, mais aussi à ses compagnons d'infortune. Seule la perspective d'une vengeance envers sa soeur aînée, qui a assisté sans intervenir à sa déchéance, lui permet d'endurer l'esclavage dans les mines du minerai anti-magie qu'on a déjà pu croiser dans le tome 1, la perte de sa dignité et de sa virginité. N'allez cependant pas croire que le lecteur va la prendre en sympathie : droguée, faisant collusion avec ses « bourreaux » de son plein gré, elle se révélera, même après son inévitable évasion, vicieuse, cruelle, manipulatrice et sans scrupules. C'est de la Dark Fantasy après tout.

Kalam et Fiddler sont supposés ramener Apsalar chez elle, mais on découvrira rapidement que leur véritable but est de s'en prendre à l'Impératrice pour ce qu'elle a fait aux Brûleurs de Ponts, y compris, si nécessaire, en se servant des aptitudes de l'ex-Mes Regrets (qui, bien que n'étant plus possédée par La Corde, a gardé l'écrasante majorité de ses aptitudes d'assassin et de combattante).

Une des caractéristiques les plus marquantes du cycle est le nombre faramineux de personnages, et ce tome 2 n'échappe pas à la règle : outre ces personnages que nous connaissons déjà, un grand nombre de nouveaux personnages débarquent donc. Mais globalement, j'ai trouvé cette première partie de tome 2 bien plus facile à suivre que le tome 1. Certains des petits nouveaux se révèlent passionnants, comme le sympathique mais néanmoins extrêmement redoutable duo formé par Mappo et Icarium, comme Heboric ou encore Baudin (qui a l'air d'être bien plus qu'il n'y paraît de prime abord). D'autre part, certains des personnages déjà connus prennent beaucoup d'envergure, surtout Kalam.

Enfin, au niveau du lieu de l'action, on se trouve sur le continent des Sept Cités, où on visite bien plus d'endroits que dans le tome 1. Il y a une nette dichotomie entre les lieux visités par les divers groupes de personnages, du très sec (la plupart) au très humide (les Marines, Kulp, Felisine, Baudin et Heboric). Enfin, il y a une assez nette différence entre les tomes 1 et 2 : alors que dans le premier, les destinées des divers groupes finissaient par converger au même endroit, ce n'est pas le cas dans le second, où ce serait même plutôt l'inverse. Même si on sent que ça va à nouveau s'inverser dans le tome 2.5.

- C'est la guerre ! (civile)

Comme s'il ne suffisait pas à l'Impératrice de se mettre sa propre noblesse à dos, elle nomme ou laisse en place des Poings (responsables locaux) négligents ou trop confiants dans les Sept Cités occupées, et est particulièrement passive face aux menaces de rébellion. Pire encore, une croisade religieuse est sur le point de se déclencher, et là encore, malgré des signes évidents, personne ne fait rien.

Personne ? Presque. Un nouveau Poing arrive avec ses troupes dans une des sept cités, Hissar : il s'agit du redoutable Coltaine, jadis adversaire des Malazéens qui, après la conquête de ses terres et de son peuple, est désormais devenu un de leurs généraux (ce revirement, qui peut paraître étrange, sera expliqué très logiquement à la fin du livre). Alors que l'ambiance générale est fortement arabisante dans ce tome, un grand nombre de tribus ou peuples, dont celui de Coltaine (les Wickans), évoquent, eux, clairement les indiens d'Amérique.

Coltaine entraîne les troupes Malazéennes locales à la contre-insurrection, au combat de rue et surtout à guider des colonnes de réfugiés lourdement chargés. La suite des événements montrera à quel point ce programme d'entraînement sera visionnaire. Lorsque l'inévitable insurrection, doublée d'une croisade religieuse féroce, se déclenche (en partie à cause de Kalam, d'ailleurs), il le seul gouverneur à entamer une retraite en bon ordre, malgré le fait qu'il soit opposé à des forces écrasantes et fanatisées à l'extrême. Mieux encore, dans la longue retraite (2500 Km) vers des villes restées sous contrôle impérial, plus tard connue sous le nom de Chaîne des chiens (qui donne son nom au tome 2.5 = III de l'édition française), il réussit l'exploit de transformer ce qui ressemble de prime abord à une fuite désespérée en une suite d'embuscades plus meurtrières (pour les insurgés !) les unes que les autres, dans une version suprêmement habile de « tel est pris qui croyait prendre ». Outre les talents stratégiques du général, la très grande qualité de ses troupes tribales de cavalerie y est bien entendu pour quelque chose. Et les dits talents ne s'étendent pas seulement aux tactiques tribales traditionnelles de son peuple : la bataille finale montrera aussi une maîtrise remarquable des techniques de génie militaire les plus avancées de cet univers.

La situation politique est en fait bien plus complexe qu'elle n'en a l'air : il y a des « collaborateurs » chez les natifs de Sept Cités (les Épées Rouges) et des traîtres chez les Malazéens (un des Poings déserte, massacrant une moitié de sa Légion tandis que l'autre abandonne son uniforme et se constitue en une compagnie mercenaire connue sous le nom de Légion du Tourbillon – du nom de la guerre sainte en cours-). de même, les loyautés de Kalam, sans être fluctuantes, sont complexes : bien que Brûleur de Ponts (donc déserteur) et prenant une part décisive dans le déclenchement du Tourbillon, il est aussi préoccupé par le sort des soldats Malazéens et n'hésite pas à tuer tous les croisés qu'il rencontre. Signalons d'ailleurs que les combats sont bien plus longs et mieux décrits que dans le tome 1, un point très positif à mon sens.

Dans le genre « tel est pris qui croyait prendre », Felisine va également faire les frais de sa sous-estimation systématique de la force de caractère des hommes qui l'entourent, et qu'elle croit manipuler à sa guise en usant de ses charmes adolescents. C'est particulièrement visible à partir du moment où le trio arrive sur la plage, où elle se fait damer le pion par un de ses compagnons d'infortune, Baudin, puis par les soldats dont ils croisent la route, et qui sont bien trop expérimentés pour se faire avoir par une telle jouvencelle.

- C'est magique

Le tome 1 était déjà bourré de magie surpuissante et à grand spectacle, mais clairement, dans ce tome 2, on passe encore un cran au-dessus. Si, si, c'est possible. Entre un tout nouveau Labyrinthe, des révélations fracassantes sur le Labyrinthe Jaghut, Heboric et ses tatouages et moignons très particuliers, la super-tempête du Tourbillon, le Mage Fou qui poursuit Kulp, la mort d'un Ascendant, les prêtres-envoûteurs Semks qui canalisent la rage de leur dieu au péril de leur vie, la nécromancie et les esprits de la terre des Wickans (sans compter leurs sorciers réincarnés dans des corps d'enfants…), il y a de quoi faire.

Mais le point le plus marquant en matière de magie est certainement l'introduction de deux races de change-formes, en clair des Lycanthropes très, très particuliers. En clair, la loi de conservation de la masse, c'est pour les fillettes, pourquoi se transformer en un léopard quand un seul change-forme peut en devenir huit ? Pourquoi devenir un ours lorsqu'on peut prendre la forme d'un scolopendre de la taille d'un dragon ? Bref, on est sur du Garou de très, très haut niveau là.

Le minerai anti-magie, l'Otataral, a une place très importante dans l'intrigue, et est en rapport avec un épais mystère entourant Heboric.

- Ambiance, Difficulté de lecture

Si vous avez lu le tome 1 (ou ma critique à son sujet), vous ne serez pas surpris du fait que dès le début, l'auteur ne vous mâche pas le travail en vous présentant le nouveau décor de l'action : il se comporte en fait comme si vous saviez déjà tout, vous déballant des noms de lieux, peuples, langues, etc. Cela contribue, pour moi, à renforcer l'image d'un univers si vaste, ancien et riche que vous, pauvre lecteur, n'en prendrez la mesure qu'au bout d'une longue lecture de l'ensemble du cycle et qu'après de réels efforts.

L'ambiance arabisante, d'autre part, ne plaira peut-être pas à tout le monde. Personnellement, j'adore, et je suis toujours ravi de voir un roman qui laisse la part belle à ce genre d'univers. La fuite (pas si) désespérée des réfugiés Malazéens, escortés par les Wickans et les Épées Rouges (plus ce qui reste de troupes impériales) est vraiment très bien décrite et se révèle très intéressante. Mention spéciale pour finir à une longue bataille finale, criante de vérité, et qui conclut de façon très habile cette première partie du tome 2 de la VO.

- En conclusion

J'avais trouvé le tome 1 fascinant mais exigeant, et j'avais vraiment aimé. J'ai adoré cette première partie de tome 2 : plus facile à suivre, avec un rythme plus constant que le tome 1 , plus riche en scènes d'action, avec de nouveaux personnages flamboyants comme Coltaine et des personnages connus qui prennent de l'envergure (comme Kalam), ce livre est une complète réussite.

Retrouvez une version un peu plus détaillée de cette critique sur mon blog.
Lien : https://lecultedapophis.word..
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