AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



J'imagine qu'on grandit tous en partie bercés par la culture musicale de nos parents.
Pour ma part, je peux encore me remémorer ces trajets en voiture, notamment pendant les vacances d'été nous emmenant visiter différentes régions de France. Et durant ces longues routes, alors que les années 80 étaient déjà bien entamées, le lecteur de cassettes nous imposait des morceaux incarnant plus particulièrement la jeunesse de mon père. Les années 60 étaient à l'honneur avec Richard Anthony, Patricia Carli, Gribouille, Georges Brassens ou encore, bien sûr, Jacques Brel. Des chansons qui irritaient parfois mes oreilles de pré-ado et d'autres qui demeuraient plaisantes, que j'attendais même avec impatience. "Au suivant" faisait partie de celles-là.

Ne nous quittons pas est une histoire qui nous est relatée avec les yeux du petit Jacques Expert, âgé alors de neuf ans. Impossible de déterminer la part d'autobiographie et la part romancée de ces trois jours marquants. A priori trois jours de l'été 1967, qui ont bouleversé la routine des estivants.

Si je devais résumer le livre en un mot, ce serait nostalgie.
Celle de Jacques Expert bien sûr et de son insouciante jeunesse, mais aussi celle du lecteur, quelle que soit sa génération. Pour ma part, en plus des souvenirs musicaux, ça a été des souvenirs de vacances au bord de la mer, de ma soeur blessée au pied emmenée chez les secouristes, de silhouettes féminines fort peu vêtues desquelles mon regard coupable ne se détâchait qu'avec difficulté, de parties de billes ou de petits coureurs auxquels je jouais seul ou en famille. Comme le petit Jacques Expert il fut un temps où j'étais incollable sur le tour de France, même si je m'y suis intéressé bien après les Anquetil, Carlesi, Riviere ou van Looy dont il est ici question. Et ces souvenirs parfois teintés de mélancolie concernent également des moments de complicité avec mon père qui m'avait appris les règles de ces tours de France miniatures. Un père qui n'avait pourtant pas grand chose à voir avec Jean Expert, père de Jacques et maître nageur sauveteur de cette plage de Vieux-Boucau, mais qui comme lui avait ses qualités et ses défauts.
Mais quand on a neuf ou dix ans, les défauts, on n'en n'a pas vraiment conscience.
"J'ai un père extraordinaire. Je l'admirais tellement."
Quel que soit le lecteur, je pense vraiment que c'est le genre de roman qui va faire remonter de bons souvenirs à la surface, sans pour autant appuyer sur la corde sensible, tout en simplicité.

L'évènement déclancheur de ces trois jours mémorables, c'est donc la présence de Jacques Brel qui, accompagné de sa femme et de ses deux enfants, vient fouler la plage landaise. Immédiatement reconnu par Jean, les vacances de la famille Expert et de tous les estivants vont s'en trouver bouleversées.
"Ce "Oh putain !", je ne le savais pas encore, a été le signal de départ des trois jours de vacances les plus extraordinaires de mon enfance."
Jacques Brel tient à préserver son anonymat. A passer des vacances tranquillement au bord de la mer avec son épouse et ses gosses, sans être sans cesse sollicité par la foule. Jean s'improvisera alors comme étant le plus fervent défenseur de la star belge et préservera la célébrité des touristes et des journalistes trop curieux.
"Il en a ras-le-bol d'être reconnu. Il veut qu'on fasse comme si ce n'était pas lui."
"Vous ne savez pas qu'on n'embête pas MONSIEUR Jacques Brel qui nous fait l'honneur de passer quelques jours avec nous ?"
Parce que la présence du chanteur d'Amsterdam sera pour la communauté un secret de polichinelle. Jean, personnalité emblématique de cette plage, y verra aussi un moyen de devenir célèbre par procuration et il en fera des tonnes pour avertir tout le monde de ne pas approcher de la star, se donnant de l'importance, devenant le temps de ces quelques jours un bon ami du chanteur, un privilège dont il souhaitait détenir l'exclusivité. Pathétique ? Noble ? Amusant ? A chacun de se faire son opinion.
"Lui et moi, c'est un peu à la vie à la mort. Copains un jour, amis toujours."
Jacques également se fera des amis et nous racontera ses souvenirs : les crêpes mangées avec la famille Brel, les jeux avec les deux enfants, des amis de plage comme il n'en n'avait jamais eus avant, et comme il n'en n'aura plus jamais ensuite.

Le lecteur lui découvrira derrière le physique chevalin et le fort accent belge du chanteur un homme sympathique, généreux, bon vivant, amusant, adepte des grosses voitures, au rire communicatif. Sans parler d'un choc des cultures, les us et expressions belges tiendront une bonne place dans le récit. Des allusions à ses succès parsèment le roman : Bruxelles, le plat pays, les Flamandes et bien sûr ... Ne me quitte pas.

Mais Jacques Brel n'a au fond que peu d'importance, il est certes très présent mais il est surtout donc un prétexte. Ce qui a motivé l'écriture de ce roman autobiographique c'est le père de Jacques, Jean, auquel l'auteur a probablement voulu rendre hommage. C'est le dernier été que sa soeur Martine a passé avec eux. Une soeur plus âgée qui avait déjà conscience que leur père était un affabulateur de première prêt à inventer tout et n'importe quoi pour le plaisir de se mettre en avant. L'un des derniers étés de Jacques également en compagnie de son paternel, et certainement celui qui se prêtait le mieux à présenter son père tel qu'il était : un coureur de jupon, qui n'hésitait pas à déformer la réalité pour impressionner ses semblables, un type pas forcément parfait mais que Jacques, du haut de ses neuf ans, persistait à voir encore et toujours comme un héros. Ce qui engendre un décalage entre ce que sait le lecteur, transmis par l'adulte auteur du livre, et ce que ne peut pas deviner un enfant : Les siestes crapuleuses, l'identité de la petite Eugénie, les réactions parfois exagérées de cet homme qui n'en demeure pas moins attachant quand le monde cesse de tourner autour de sa personne.
"Il était sympa, rigolo, bon vivant, bavard comme pas deux, un poil vantard ( mais qui ne l'est pas ) et pas mal dragueur, mais toujours disponible."
Malgré ses défauts, l'amour réciproque qu'éprouvent Jacques et son père nous incite à l'indulgence, et ce en dépit du calvaire que Jean a semble-t-il fait endurer à la mère de ses enfants, avant leur séparation.

Que dire d'autre ? Ce livre propose une courte plongée dans les années yéyé, et y sont mentionnés d'autres artistes tels Dalida ou Johnny Hallyday. Ainsi que des références de l'époque comme Salut les copains ou le club des cinq.

C'est un livre dans lequel on rentre facilement passé les premières pages et qui nous fait découvrir Jacques Expert - que ce soit l'écrivain ou le personnage - sous un jour différent. S'il y aura bien des drames qui vont se nouer cet été-là, si le livre réserve quelques petits rebondissements, on est forcément très loin des intrigues d'Hortense ou d'Adieu.
Mais je tenais à découvrir cette autre facette d'un auteur que j'apprécie beaucoup. Je ne le regrette pas : suivre les amitiés et les péripéties de ces familles m'a touché, a fait remonter à la surface de vieux souvenirs, et j'ai tourné les pages avec une impression de charme désuet, de sensibilité dépourvue de mièvrerie.
Mais au-delà de cette écriture pudique et agréable, ce style de roman est tellement différent de ce que je lis d'habitude qu'il est difficile d'émettre un avis dans un sens ou un autre. Je crois que c'est le genre d'oeuvre qui pourra plus particulièrement être appréciée si elle est lue à un moment précis de nos vies, où se remémorer sa propre enfance devient important. Au-delà, je ne peux pas dire que c'est une lecture qui me marquera profondément malgré ses indéniables qualités.

Commenter  J’apprécie          212



Ont apprécié cette critique (21)voir plus




{* *}