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Critique de Nastasia-B


Je dois reconnaître que j'ai été favorablement surprise par ce livre dont, a priori, je n'attendais rien de particulier. C'est à la curiosité que je dois cette découverte et à l'entremise de Babelio via Masse Critique, laquelle curiosité a été cette fois-ci bien récompensée.

De quoi s'agit-il ici ? D'un essai sous les angles croisés de l'économie et de la compréhension du droit pour analyser, comprendre et expliquer l'émergence fulgurante, puis l'essoufflement et enfin l'effondrement sans rémission de la Rome antique.

Mais, ce qui serait déjà beaucoup n'est pourtant pas tout car l'auteur, Philippe Fabry, pousse encore plus loin la réflexion en établissant des parallèles avec des exemples de puissances plus modernes, à savoir le régime républicain apparu aux États-Unis et feu l'U.R.S.S.

Ces parallèles sont très discutables, bien entendu, mais c'est réellement captivant. C'est en effet la première fois qu'on me propose des clés de compréhension crédibles tant pour l'apparition de la phénoménale puissance romaine de l'Antiquité que pour son non moins spectaculaire déclin et sa dissolution ultra-rapide. Il aura suffit d'une petite pichenette d'une peuplade barbare d'effectif dérisoire pour étriller la formidable machine de guerre qu'avait été Rome. Étonnant, non ?

Selon Philippe Fabry, les raisons de la vigueur économique et de l'attractivité qu'exerçait la cité de Rome entre l'établissement de la république en 509 av. J.C. et la première guerre punique provient premièrement du libéralisme total et véritable en matière économique (c'est-à-dire, avec un appareil d'état réduit à sa plus simple expression, essentiellement avec un rôle de maintien de l'ordre) et deuxièmement de l'apparition de l'état de droit (loi des Douze Tables), c'est-à-dire de l'assurance que les droits individuels de chacun seront respectés devant la loi sans passe-droit.

L'auteur précise que durant cette période, ce sont les autres cités d'Italie qui se pressent et qui trépignent d'impatience de pouvoir bénéficier du graal suprême, c'est-à-dire de la citoyenneté romaine, offrant les garanties de l'état de droit et l'opulence économique associée. À ce moment-là, c'est plutôt Rome qui freine des quatre fers pour limiter l'incorporation de nouvelles cités dans son système économico-socio-politique. Les cités incorporées jouissent d'ailleurs d'alliances bilatérales très équitables.

En somme, la " conquête " de l'Italie va de soi puisque se sont les " conquis " qui désirent ardemment entrer de plein droit dans Rome. (Précision non fournie par l'auteur mais que je me permets d'ajouter de ma propre initiative : un peu à la manière des candidats à l'adhésion à l'Union Européenne qui font du forcing pour être acceptés dans le cénacle.)

Cet état des choses sera modifié à partir des guerres puniques, le véritable tournant et non l'apparition de l'Empire comme il est souvent dit. Au cours de ces deux guerres, Rome devra se doter d'un appareil militaire plus important et de structures étatiques et administratives étendues, justement pour financer et organiser ce gros corps d'armées. Il y aura des conquêtes collatérales, non spécifiquement décidées en amont, mais des faits de guerre.

Or, ces territoires nouveaux, ces richesses pillées, cet afflux d'esclaves sont acquis " par l'État " et seront redistribués à la classe dirigeante sénatoriale, cas flagrant de capitalisme de connivence où la libre concurrence est pipée par l'utilisation que certains font de la puissance et des biens de l'État (au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, c'est dans cette forme étatique du capitalisme dans laquelle nous vivons actuellement).

Ce déséquilibre croissant dans le libéralisme véritable entre citoyens est à l'origine de la fracture entre les Optimates (l'aristocratie dirigeante, disons pour simplifier " la droite " dont Sylla puis Pompée seront des représentants célèbres) et les Populares (les démagogues sociaux, disons pour simplifier " la gauche ", dont Marius et César seront les champions du genre).

Et ce faisant, par un mouvement de marée, d'avance et de recul, du libéralisme initial on arrivera à une forme particulière de socialisme pour des raisons électorales. Socialisme classique par le bas, sous forme de redistributions gratuites, en vue d'emporter une élection, mais aussi socialisme par le haut, sous forme d'accaparement de terres, de marchés ou d'esclaves pour les classes dirigeantes.

Évidemment, l'état de droit et le dynamisme économique seront de plus en plus grevés par cet assistanat d'une part, puis cette concurrence déloyale, toujours au détriment des classes moyennes. Ceci conduira à des évolutions du droit, à l'apparition de deux classes de citoyens, à une augmentation croissante du rôle de l'État, de l'assistanat et des prélèvements obligatoires sous forme d'impôts en tout genre.

Voilà en quoi l'auteur compare l'émergence de la puissance romaine à l'apparition de la république américaine et de son fort dynamisme économique originel et plus tard, la république romaine devenue empire, et l'empire devenu appareil d'état totalitaire complètement sclérosé économiquement, politiquement et socialement, à la manière de l'U.R.S.S.

On comprend ainsi plus aisément qu'aucun citoyen de la masse n'ait particulièrement cherché à défendre ce qu'était devenu l'Empire romain, à partir de Dioclétien, un régime sans doute proche du Stalinisme ou de l'actuelle Corée du Nord. On comprend mieux alors qu'un faible peuple soi-disant barbare représente un progrès social pour la population romaine.

Il en ira de même lorsque les guerriers musulmans déferleront sur l'Empire romain d'Orient, avec les mêmes effondrements spectaculaires, et il ne subsistera qu'un mince royaume grec, centré autour de Constantinople et qui n'aura plus d'Empire romain que le nom, et encore.

Il est aussi à noter selon lui qu'à partir des guerres puniques, l'expansion territoriale de Rome n'est plus librement consentie par les peuples concernés mais le résultat d'annexions successives, ce que l'on nomme classiquement " impérialisme ". On s'aperçoit donc que " l'impérialisme " de Rome prend place essentiellement pendant la République et non tellement pendant l'Empire. Les conquêtes de Pompée et César sont là pour en attester.

Je suis donc assez d'accord avec l'auteur lorsqu'il affirme que le grand virage n'est pas l'apparition de l'Empire, qui n'est, somme toute, qu'une conséquence logique de la dérive de la vie politique républicaine. le virage véritable est celui qui a brisé l'équilibre de la loi des Douze Tables en créant du clientélisme électoral dans la République.

Je ne partage pas du tout les convictions libérales de l'auteur et y suis même totalement opposée, mais j'ai trouvé sa démonstration économico-politique enrichissante et très parlante au niveau des évolutions du droit romain et ce faisant, intéressante. Moi qui suis pourtant idéologiquement très réticente quand j'entends parler de libéralisme économique, force est de constater que l'argumentation invite à la réflexion, quand bien même se serait pour rechercher des contre-arguments.

Ce qui est notable, et malgré un positionnement idéologique très clair (trop clair, sans doute) de l'auteur, c'est qu'il s'agit d'une démonstration non exclusivement manichéenne. Philippe Fabry ne se fait aucune illusion sur notre capitalisme et il considère que le libéralisme " pur " et équitable, (est-ce que ça peut, même théoriquement, exister, là est une autre question) qui assurerait l'essor économique et le respect des droits et des espoirs de réussites de chacun est une utopie puisque vient toujours se greffer un déséquilibre, à un moment ou à un autre, qui fait basculer le libéralisme pur en capitalisme de connivence. Ensuite, les démagogues de tout poil font le reste...

Il convient de toujours rester très critique avec ce genre de démonstrations qui pourraient essayer de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, mais réfléchir aux causes et aux conséquences de telle ou telle politique ou de tel ou tel modèle social me semble une démarche importante pour chacun de nous.

En somme, un bel essai que je recommande vivement, pas forcément à prendre pour argent comptant, mais à titre d'exercice pour aiguiser notre réflexion. Je remercie donc infiniment et chaleureusement l'éditeur Jean-Cyrille Godefroy et Babelio pour cet envoi dans le cadre de Masse Critique. Souvenez-vous néanmoins que ce que j'exprime ici n'est qu'un avis, c'est-à-dire bien peu de chose, même si chacun sait que tous les avis mènent à Rome.
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