AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de de


de
24 novembre 2016
La violence n'est pas une entité transcendante possédant un sens et des effets universels et atemporels

En introduction, Jules Falquet parle d'examiner « la face coercitive de la mondialisation à partir de la violence contre les femmes », un autre versant de ses travaux sur la mondialisation néolibérale et sur la mobilisation du travail des femmes.

« Cet essai propose une double réflexion : sur les enjeux matériels de différentes formes de violence contre les femmes – en insistant sur leur imbrication avec des logiques de classe et de race – et, simultanément, sur la réorganisation néolibérale de la coercition, dans laquelle je souhaite montrer que la violence contre les femmes joue un rôle pivot ». Je souligne deux éléments : les enjeux matériels si souvent oubliés dans les analyses sur les violences, et la réorganisation néolibérale de formes sociales, ici de la coercition et de la violence contre les femmes. La violence comme continuum (physique, sexuelle, émotionnelle, économique, idéelle), sa dimension matérielle, son utilisation instrumentale…

Continuum et contextes ou objets variés, violence domestique, violence contre les femmes, institution du service militaire, violences de guerre et d'après-guerre, logiques violentes d'organismes étatiques ou para-étatiques, coercition organisée par l'Etat…

L'auteure présente les différents articles et retrace le cheminement qui l'a conduite à ces analyses et indique le lien « qui associe toute ces violences ».

Sommaire :
« Guerre de basse intensité » contre les femmes ? La violence domestique comme torture : réflexions à partir du Salvador
Au delà des larmes des hommes : l'institution du service militaire en Turquie
Les féminicides de Ciudad Juarez et la recomposition de la violence
Luttes (dé)coloniales autour du « territoire-corps » : de la guerre à l'extractivisme néolibéral au Guatemala
Le livre se termine sur un poème de Melissa Cardoza en femmage à Berta Caceres assassinée en mars 2016.

Avant de revenir sur quelques éléments, choisis subjectivement, je voudrai insister sur la grande rigueur analytique de ces textes. Loin des formules idéologisantes ou psychologisantes, Jules Falquet insiste sur les dimensions matérielles, les intérêts collectifs, la « division sociale entre deux groupes radicalement hiérarchisés – ici de sexe », l'inintelligibilité et la « rationalité » des crimes commis sur les femmes…

Guerre de basse intensité. La violence privée est « une question politique et sociale globale », un instrument clé « du maintien des rapports sociaux de sexe et de l'ordre social ». Jules Falquet indique que « la violence contre les femmes doit être replacée dans un contexte global qui lui permet d'exister ». Elle procède à l'analyse des ressemblances entre torture politique et violence domestique, de l'enfermement dans des espaces clos, des espaces de non-droit. La victime de la torture politique ou des violences domestiques est placée « dans une position d'isolement matériel, moral et social destinée à la fragiliser et à organiser son impuissance relative ou absolue face à qui la maltraite ». L'auteure souligne, entre autres, les mauvais traitements sexuels « composante à part entière de la torture » et leurs effets spécifiques, la violence « en famille » considérée comme « socialement anodine et anecdotique », les sentiments d'irréalité liés à la dissociation « ces choses m'arrive à moi comme objet et non comme sujet », les dynamiques d'autodestruction, la dévalorisation de soi, la dynamique de culpabilité, les effets de répétition des expériences de violence, les viols conjugaux, les logiques sociales de la violence domestique et de la torture, leurs effets psychodynamiques, la vulnérabilité construite…

Pleurer avec les hommes ? Une préface à un livre de Pinar Selek (voir lien en fin de note). Service militaire et « caractère routinier, planifié et éminemment transitoire de la violence à laquelle les jeunes recrues sont soumises », froide rationalité et logique bureaucratique, violence transitoire subie et octroi de « considérables privilèges », formes de masculinité produites, initiation et principe d'exclusion « indispensable pour créer un « nous » », réflexe andocentrique d'effacement des femmes. Un très beau texte. Jules Falquet montre comment « la violence peut être utilisée pour forger un groupe social en lui garantissant certains privilèges ». Violence envers des hommes, mais strictement limitée dans le temps, pour leur donner le droit de la faire subir à d'autres personnes considérées comme inférieures. L'apprentissage de la hiérarchie désirable, le partage d'une homo-expérience sociale, l'entre-soi des hommes, la construction d'un collectif sur l'exclusion d'autres groupes, l'arme comme « femme-compagne », homme et apparence, rôle de pratiques relationnelles comme la prostitution…

Se focaliser sur cette seule expérience de violence en la décontextualisant entraine l'oubli de l'acquisition d'un statut de dominant, l'évacuation de la question des femmes elles-mêmes… et des lectures masculinistes, déresponsabilisant les hommes de leurs violences.

Violence et « promesse d'impunité totale », hiérarchie comme clef de la production de la classe des hommes, « elle permet de créer l'adhésion au principe de hiérarchie, et sa désirabilité », violence comme apprentissage « enseignement institutionnalisé, planifié, systématique et cohérent », les conditions matérielles de la construction du masculin et de la virilité…

Le titre de cette note est extrait de ce texte.

La main d'oeuvre préférée du néolibéralisme. Violences et impunité, violence envers un segment précis de la main d'oeuvre, « des travailleuses individuellement appauvries, mais qui toutes ensemble rapportent gros aux transnationales et notamment à l'industrie du sexe », mélange « inédit de violence « privée » et « publique » ».

Un réflexion sur la réorganisation néolibérale de la violence à partir de certains assassinats féminicides de Ciudad Juarez. Nouvelles formes de violences et histoire du contrôle politico-militaire, retournement de responsabilité, liens entre « haine misogyne, violences sexistes et meurtres de femmes », système patriarcal (« lien entre l'exploitation du travail des femmes, l'impunité assurée par l'Etat, la tolérance à la misogynie inscrite dans la culture dominante et l'exercice du pouvoir masculin dans la sphère intime »), dénationalisation de l'espace de la frontière et conditions de non-citoyenneté pour les femmes. Jules Falquet inscrit « les violences et les assassinats de femmes en fonction d'une logique d'abaissement du coût de la main-d'oeuvre », parle de « désamalgame » des tâches de l'amalgame conjugal, de processus de désensibilisation sociale, « effet de sidération, de démoralisation généralisée et de fatalisme », de contrôle social par la terreur, de marché de la répression et de la violence comme débouché commercial… Il s'agit bien d'une attaque contre un segment spécifique de la main d'oeuvre, d'une réorganisation néolibérale de du travail…

Violence et (dé)colonialité. Continuum des violences coloniales et recolonisatrices, corps des femmes indiennes et ressources du territoire. L'auteure souligne qu'il convient d'expliquer les causes concrètes et mettre l'accent sur « des racines historiques, économiques et politiques des violences de guerre comme des violences quotidiennes ». Elle parle des survivantes et de leurs organisations collectives, des populations indiennes, de l'absence de réforme agraire radicale, du processus de Récupération de la mémoire historique (REMHI) sur les violations de droits humains, de la rupture du silence et de la reconstruction de la mémoire, « A la proposition féministe d'auto-conscience pour libérer les souvenirs traumatiques, la sanation associe un ensemble de pratiques inspirées des traditions indiennes, ancrées dans la mémoire historique des violences de la colonisation comme dans diverses spiritualités de résistance et, plus globalement, dans l'affirmation de la vigueur et de l'actualité des cultures indiennes ».

Jules Falquet souligne la nécessaire politisation du viol « de le faire sortir du domaine privé en incitant chacune à rompre le silence sur sa propre histoire », le « mi cuerpo es mio », la banderole « Territoire libre. Mon corps est à moi. Libre de contrôle, d'expropriation, de violence, de colonisation, de racisme, de lesbophobie ». Elle analyse aussi les violences du projet néolibéral extractiviste, le rôle des milices de sécurité privées et les lois couvrant leurs agissements, les résistances collectives, les diverses stratégies féministes en soulignant notamment les formes de « féminisme communautaire »… Qhipnayra uñtasis sarnaqapxañani.

Des analyses contextualisées de différentes expressions de la violence et de la progression de la mondialisation néolibérale. La mise en évidence de l'interpénétration croissante de dynamiques de guerre, de dépossessions, de violences… Merci aux Editions iXe pour la (re)mise à disposition de ces textes, outils de réflexion sur le néolibéralisme et les violences contre les femmes.


Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          20



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}