Pinar Selek menacée d'une condamnation à perpétuité en Turquie

« L’horreur peut rendre la poésie impossible. Ta bouche se tord d’effroi, ton cri se fige, ta langue se pétrifie. Les mots deviennent insignifiants. Reste le silence. Même les oiseaux peuvent avaler leur chant. » (in Pinar Selek, « Parce qu’ils étaient Arméniens », 2015)
Exilée en France depuis 2011, Pinar Selek subi un acharnement judiciaire depuis maintenant 19 ans. Engagée dans la cause kurde, arménienne, mais aussi dans les luttes sociales (droit des femmes, des enfants des rues, des personnes transgenres), elle est arrêtée une première fois en 1998 pour livrer les noms de ses sources kurdes : refusant d’obtempérer, elle se fait torturer et emprisonner.
Peu de temps après, elle se retrouve soudainement mêlée à un attentat terroriste et condamnée à perpétuité : jugée quatre fois, acquittée en 2014, la Cour Suprême turque demande l’annulation de cette décision depuis ce 25 janvier 2017, sans aucun nouvel élément.
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Ignorer l'histoire dans laquelle on vit, la lutte désespérée de ses voisins, vous rend superficiel. Et cette indifférence laisse la porte grande ouverte à la brutalité. Pire encore, elle devient brutalité.
Les Turcs avaient beaucoup d'ennemis ! Les terroristes, les communistes, les Arméniens... Les mots étaient interchangeables. Depuis le coup d'Etat, tous les démocrates avaient été déclarés communistes, tous les communistes, arméniens, tous les Arméniens, terroristes. D'après les livres que nous devions apprendre par cœur, ligne après ligne, le diable nommé "Arménien" était l'éternel ennemi du Turc. Arménien signifiait comploteur, collaborateur, traître, ennemi de l'intérieur, assassin. C'étaient eux la force occulte dissimulée derrière les communistes. L'injure "bâtard d'Arménien!" tenait le haut du pavé parmi les insultes les plus populaires.
Avec le temps, j'allais comprendre qu'en Turquie, il était difficile pour les Arméniens d'être heureux.
Etre arménien en Turquie, c'était déambuler sans révolte sur des avenues baptisées des noms des gouvernants responsables du génocide. C'était prononcer le nom de l'assassin de son grand-père ou de sa grand-mère en échangeant une adresse. C'était hésiter à parler à haute vois dans les rues. Faire la sourde oreille aux insultes. Se dissimuler pour exister.
Les mots qui sortent de la bouche entrent par une oreille et ressortent par l'autre. Mais les mots du cœur vont droit au cœur.
Dans le système patriarcal, tous les êtres dominés sont assimilés à la nature et tout ce qui se rapporte à la nature se dote de caractéristiques féminines
A cette époque, détenir un recueil d' Aragon ou d' Eluard constituaient un délit. Des années de plomb ou lire des poèmes confinait au communisme.
Comment peut-on raconter que l'on est seul au monde ? Parfois en partageant le silence. Parfois en plongeant ensemble dans le passé, les récits de mort, étouffés par quelques minutes de tristesse.
C'est bien de vivre à Istanbul. Ici, tout le monde est étranger. Les Arméniens, les Grecs, les Juifs....Certes, il n'en reste pas énormément...Mais les Kurdes sont nombreux.