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Critique de armand7000


Une terre de lait et de miel, Fan Wen

Ecrit par Adrien Battini 04.07.13 dans La Une Livres, Recensions, Les Livres, Asie, Roman, Philippe Picquier


Une Terre de Lait et de Miel, traduit du chinois par Stéphane Lévêque, mars 2013, 880 p., 26,50 €
Ecrivain(s): Fan Wen Edition: Philippe Picquier


Une terre de lait et de miel, Fan Wen






A l'heure des grandes transhumances estivales, Une Terre de Lait et de Miel et ses 880 pages se présentent comme le candidat idéal auprès du voyageur soucieux de rationaliser au maximum son paquetage littéraire.

Certes, le nombre de pages n'a jamais été un critère infaillible certifiant la qualité d'un texte donné. Néanmoins, cela atteste implicitement d'une certaine ambition littéraire, ce qui constitue en l'occurrence une des grandes forces du roman de Fan Wen.

L'écrivain chinois s'est choisi un cadre unique (les gorges du Mékong aux alentours du mont Khawa Karpo) et d'en relater un siècle d'événements. Première audace formelle, Fan Wen rompt avec une structure narrative linéaire et opte pour un découpage ou plutôt un panachage de décennies où l'on passe, entre autres, de la fin du XIXème siècle au début du XXIème pour se conclure dans les années 50. Ce parti pris d'écriture équivaut ainsi à un petit challenge de lecture où l'amateur des oeuvres de Tolstoï ne sera guère dépaysé. Au lecteur de se retrouver dans cette myriade de personnages et de retracer les lignées des différents clans qui n'ont eu cesse de s'opposer dans cette petite portion du Tibet.



S'il est difficile de résumer près de 900 pages de chronique, certaines idées-forces s'imposent à la lecture. Une Terre de Lait et de Miel s'ouvre sur la constitution précaire d'une mission catholique dans le Tibet. de fait, les gorges du Mékong seront un théâtre perpétuel de la rencontre religieuse, avec son lot d'incompréhension, de haine, de conflit, mais aussi de dialogue, de retrouvailles, d'acceptation ou de résignation. Derrière ces grands ensembles (bouddhisme, catholicisme, religion donbga ou le marxisme maoïste), se dessine en filigrane le deuxième axe du roman.

Si le déchirement politique, idéologique ou religieux semble tenir de l'éternel recommencement, Une Terre de Lait et de Miel possède toutefois sa propre linéarité. Progressivement, l'auteur détourne son intérêt et renvoie dos-à-dos les identités potentiellement destructrices pour mieux s'intéresser aux destinées individuelles, aux passions amoureuses, aux rédemptions et autres accomplissements personnels. Une démarche proprement humaniste anime littéralement le roman jusque dans sa conclusion, magistrale dans son évidence et magnifique par la beauté des images convoquées.

Quelques mots sur l'écriture de Fan Wen. Sans fioriture, extravagance ou autre excès stylistique, cette plume garde la nécessaire distance avec son récit et ses personnages, qui lui permet par là-même d'atteindre avec justesse les émotions ciblées. Impossible de ne pas saluer le subtil humour de l'écrivain lorsqu'il décrit, toujours avec bienveillance, les superstitions populaires du peuple tibétain et ses croyances dans les pouvoirs surnaturels des mages locaux. Impossible non plus de ne pas s'émerveiller dans les moments lyriques, plus rares, hommages à la nature ou images évanescentes des âmes en perdition.

Impossible enfin, de ne pas frissonner à la lecture des passages plus intimes, car rarement dans un roman l'amour paternel n'aura été restitué avec autant de pureté. Une Terre de Lait et de Miel n'est pas seulement cette saga, dense, qui tiendra en haleine le lecteur chapitre après chapitre.

Ce seul aboutissement narratif mérite le détour, mais ce serait ignorer les indéniables richesses, littéraires, émotionnelles voire initiatiques d'un roman qui n'a rien à envier au Cent Ans de Solitude de Garcia Marquez, et qu'il serait dommage de ne pas soutenir et célébrer en tant que tel.


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