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Critique de Garoupe


C'est l'histoire d'une fuite. Ou plutôt de plusieurs fuites. En avant, pour échapper à quelque chose ou à quelqu'un, ou en arrière, à la poursuite de quelque chose ou de quelqu'un.

Henry Scowcroft, le handicapé à la jambe traînante, fuit : il fuit sa cabane incendiée, il fuit les quatre frères Duff complètement attardés, il en fuit un autre (Morgan) qui tient absolument à lui faire la peau, il fuit son passé dans lequel la seule fille Duff de la fratrie est morte noyée suivie de près par son père.

Le docteur Marifield, dit Doc, fuit : il fuit les mêmes frères Duff, il fuit son passé abandonné physiquement à Vancouver mais qui le tient encore psychologiquement, il fuit un gout immodéré pour la boisson forte, il fuit ses sentiments qui l'attachent à une squaw du village indien des Corbeaux (oui, oui, d'où le titre), il fuit à la recherche d'un encore autre frère Duff (Thomas).

La folie des êtres humains n'a dans ce récit d'égal que la dureté de la nature à l'état brut. On est ici en plein Nature Writing, dont les éditions Gallmeister ont fait récemment les lettres de noblesse et dont les éditions du défunt Serpent à Plume renaissant aujourd'hui de ses cendres prennent la balle au bond avec une adresse certaine.

L'action se déroule sur l'île de Skincuttle, dans la Colombie-Brtannique canadienne, montagneuse, boisée, pluvieuse… la nature a un côté hostile chevillé au corps qui ne demande qu'à se défendre quand il est question d'exploiter une mine, de créer des routes et une ligne de chemin de fer.

La nature, pour importante qu'elle est dans l'histoire, n'en est pas pour autant le seul centre : elle laisse la part belle aux personnages de Trevor Ferguson, agissant comme catalyseur de leurs folies, de leurs angoisses, de leurs psychoses. Quand le nature writing prend habituellement comme point de départ la personnification de la nature en tant que personnage principal, Trevor Ferguson ne prend pas cette voie et préfère laisser à la nature son côté… naturel, dé-personnifié mais en lui conservant son caractère de pièce centrale du puzzle. Ne bénéficiant pas de cette personnification chère aux auteurs de nature writing, la nature doit donc passer par des intermédiaires, en l'occurrence les personnages de Trevor Ferguson, chacun avec leur histoire, chacun avec une relation propre à la nature : qui en a peur, qui la respecte, qui est en symbiose avec elle…

Si l'histoire tourne autour de la nature, de la question de la mine, de celle des sabotages subis par les équipes sur place chargées d'organiser le chantier de la mine, etc… tous ces éléments ne font que renvoyer à l'histoire de la famille Duff et de son enracinement sur l'île. Morgan, de retour après 17 ans d'absence, revenant en quelque sorte sur les lieux du crime, Thomas Duff, son frère, ermite depuis 17 ans dans les montagnes, Gail Duff, décédée tragiquement 17 ans auparavant et dont le fantôme hante toutes les pages du livre, constamment rappelé à notre souvenir par Henry dont on soupçonne rapidement l'amour qu'il a pu avoir pour Gail et toujours obnubilé par cette femme depuis 17 ans.

D'un tourbillon de symboles, de liens entre les évènements du passé et du présent, Trevor Ferguson transforme la nature en Némésis de manière fort habile.

Au niveau du style, Trevor Ferguson est adepte d'une langue directe, franche, parfois alambiquée mais dont les tournures parfois imbriquées les unes dans les autres se moule parfaitement au dessin du tronc d'arbre noueux, autant que peut l'être son intrigue qui n'épargne aucun être humain et dont la nature est le seul protagoniste qui en sort entier, vivant et intact.

« Sortant de sa rêverie, Doc sortait aussi de son cercle et il se rendit soudain compte que le cercle était complet, que dans un instant il poursuivrait sa route et se dirigerait de nouveau en direction opposée de Lyell. Il hésita avant de redresser le gouvernail, hésita et le cercle fut complété. Il immobilisa le gouvernail contre son flanc et reprit sa route vers l'embouchure du chenal et Cumshewa Town. Il regardait fixement devant lui, l'air morose, et admettait maintenant qu'il n'avait pas le coeur, le courage ou l'habileté de se confronter aux quatre idiots de frères Duff. Ils avaient la capacité par leur silence combiné, leur stoïcisme et d'autres choses que Doc avait refusé de leur reconnaître auparavant, leur détermination et leur obsession, qui pourraient, avait insisté Henry, avoir un lien avec leur culpabilité, leur péché mutuel, ce que Doc n'avait pas compris, la capacité donc de lui faire changer de cap malgré lui, et il n'avait aucun endroit où aller. Mais il avait le sentiment de suivre un cours qui lui avait été tracé. »

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