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Critique de ecceom


Pour attraper un coup de soleil

Après les excellents "Carnets d'Orient", Ferrandez s'attaque au plus célèbre et plus dénigré aussi, roman d'Albert camus.

Quiconque a été troublé par "Aujourd'hui maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas", "...aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme", ou encore "...Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d'un pas. Mais j'ai fait un pas, un seul pas en avant.", se moque bien de l'attitude dédaigneuse d'un Brochier et de son lapidaire "Camus, philosophe pour classes terminales".

Ferrandez tente l'impossible, transcrire l'absurde en bande dessinée, alors que chacun a déjà forgé ses propres images dans la tête. le risque est grand, d'amoindrir et de décevoir, surtout en renonçant en grande partie à la voix off, comptant sur le seul pouvoir du dessin.

Le pari est pourtant tenu. Ferrandez rend parfaitement réelle, l'irréelle et tragique ballade de Meursault, un homme abruti par l'absurdité d'une vie dont il respecte mécaniquement les principaux codes, mais pour laquelle il ne peut cacher sa profonde indifférence, ce détachement qui le transforme en monstre aux yeux de l' "ordre établi". Car au-delà du crime, ce qui est reproché à Meursault, c'est de ne pas respecter le jeu des apparences.

Ferrandez n'a sans doute pas oublié que pour Camus, Meursault est un "amoureux du soleil qui ne laisse pas d'ombres". Et le soleil, Ferrandez le connaît bien et nous le restitue merveilleusement : accablant, omniprésent, assassin. le dessin pourrait sembler maladroit, il est seulement troublant, au point qu'on n'imagine plus une autre version, même si ça et là, on fouillera sa mémoire : est-ce bien le Meursault que nous imaginions, la Marie Cardona que nous avions façonnée, l'Arabe qui était censé nous inquiéter ?
Une adaptation réussie donc.

Ce n'est pourtant qu'une fois l'ouvrage refermé que l'évidence du dessin m'a frappé, car le roman de Camus est peut être davantage un tableau qu'un livre.
Disséquer la « thèse » de Camus est intéressant sans doute, mais pas primordial.
Pour moi, ce texte prend tout son sens quand on l'imagine projeté sur une toile où se succéderaient Seurat, Van Gogh, ou Doutreleau : lisibilité sous condition de recul, fragmentation, éblouissement, immobilité trompeuse...Seuls les tableaux ont su rendre cette sensation de chaleur, d'accablement, de perte du réel quand brille la lame au soleil, quand la plage vibre.
Pour ceux qui connaissent, qui sont peut-être tombés un jour en arrêt au Prado devant cette toile, pensez à "El perro semihundido" de Goya.
La solitude devant un monde inconnu qui vous engloutit sans que vous cherchiez à lui échapper : c'est ça l'univers de Meursault.

D'ailleurs, faites l'expérience. Une fois le "roman" achevé, fermez les yeux et donnez-lui ses véritables formes et couleurs.
Alors ?
Ferrandez a fermé les yeux et on les rouvre avec lui.
Rarement l'Etranger nous l'aura moins été.

Et Brochier, on t'emm...de !
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