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Critique de Bologne


« de toi. Je viens de toi. Quoi que je fasse ou pense, que j'accepte ou refuse, c'est de toi que je suis sorti en hurlant, vulnérable et offert, au commencement. »
La disparition des parents, qui nous laisse en première ligne de la vie, a inspiré de nombreux textes de valeur littéraire parfois contestable, mais toujours émouvants. Dans ce double mémorial au père (« Filoche ») et à la mère (« La possibilité du garçon »), Vincent Flamand a réussi à faire véritablement oeuvre littéraire sans éteindre l'émotion. Cela tient à l'écriture, d'abord, d'apparence simple, mais longuement ciselée, résumant en une métaphore ou une formule frappée comme un proverbe un sentiment évanescent qu'un romancier classique traquerait à mort en de longues analyses. Il aime jouer sur les mots, non par des calembours épais, mais par des reprises décalées (des parents « dont le souci de moi n'aurait pas été un souci pour moi »). de courts textes, qui dépassent rarement la page, évitent de tomber dans le pathos et épinglent des moments d'apparence banale, et qui finissent par devenir symptomatiques.
Cela tient aux personnages, surtout, atypiques, « extravagants », peu « crédibles », et pourtant, combien de pères et de mères ne reconnaîtrions-nous pas dans ces portraits sensibles ? le père, d'abord. C'est l'élément poétique, fantasque du couple. Il s'amuse de l'absurde, s'écrit des cartes postales pour se souhaiter la bonne année, vit dans ses lectures — don Quichotte ou Sherlock Holmes emménagent tour à tour pour quelques semaines dans la maison. Lorsqu'il apprend qu'il souffre d'un cancer, il s'achète une poupée hideuse qu'il appelle Prostate. Mais lorsqu'on met tout cela bout à bout, on s'aperçoit qu'il est resté muet sur l'essentiel. L'essentiel ? Peut-être qu'à se retrouver père à quarante-sept ans, il s'est lui-même senti en décalage avec une réalité qui le rattrapait sur le tard. « Il voulait donner au réel la possibilité d'un sourire ».
Et puis la mère, avec laquelle l'auteur avoue une « existence siamoise ». Un lien nécessaire et blessant, un amour douloureux et impossible à rompre. L'élément rationnel, en apparence : passionnée de poésie dans son adolescence, elle finit par lui préférer « l'évidence et le sérieux des mathématiques », et les conjugue en parlant de la beauté d'un théorème, du charme d'une démonstration. D'elle vient le « catholicisme familial », qui va de soi, mais trop exigeant pour être durable. Assidue à l'église à cinquante ans, elle finit par en claquer la porte. N'est-ce pas le parcours de l'auteur lui-même, qui deviendra prêtre, mais qui finira par se marier ?
Entre les deux, l'enfant, tiraillé entre deux amours excessifs et maladroits, qui finissent par le fragiliser tout en lui laissant une vague angoisse de n'avoir pas su les mériter. Une peur diffuse de ne pas être à la hauteur, que l'on sent héritée de l'un et de l'autre. À treize ans, après avoir lu le compte rendu d'un film d'horreur, le voilà saisi de peurs incontrôlables, avec la sensation d'avoir « le diable aux trousses ». Il se rend alors compte que sa mère a eu les mêmes angoisses dans sa jeunesse, et qu'elle ne lui a jamais parlé du diable pour éviter de les lui communiquer. La mère, qui « a vécu d'un amour aux forceps, dépassée par les exigences d'une maternité qui lui faisait peur », est toujours en train d'attirer l'attention sur un danger imaginaire. le père, « protecteur sans être sécurisant », « ne pouvait donner son amour qu'en m'éveillant à cette angoisse dont il s'illusionnait de ne pas être lui-même la victime. » Comment échapper à cette angoisse, sinon en passant de la maternité charnelle à la maternité spirituelle (ne dit-on pas de l'Église qu'elle est une mère ?), en cherchant une seconde mère qui délivre de la première et qui prépare, par le paradoxe du célibat, au mariage et à la paternité ? C'est ce glissement symbolique qui donne sa force à ce double hommage.
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