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Critique de Melpomene125


L'Éducation sentimentale est un roman d'une grande richesse à la fois stylistique, historique, politique et psychologique.

Il émane de ce texte très bien écrit une vision sombre et désabusée d'absolument tout : l'amour, l'amitié, les relations humaines, la vie sociale et la politique. L'éducation sentimentale de Frédéric Moreau le mène à l'échec dans tous les domaines : amoureux, amical, politique mais ce n'est qu'un des aspects du roman.

L'Éducation sentimentale ressemble au début à une histoire d'amour tragique et impossible. Frédéric aime d'un amour pur et idéal la pure, idéale et parfaite Mme Arnoux, dont le seul défaut est d'être mariée à M. Arnoux.
Le lecteur sait peu de choses de Mme Arnoux, Marie. Frédéric la voit peu mais l'imagine beaucoup. Leur amour est réciproque, cependant il est hors de question que Mme Arnoux divorce, nous sommes dans les années 1840 et Flaubert peint la société de ses contemporains telle qu'elle était.

M. Arnoux a des maîtresses, ce n'est pas un problème, alors que, si Mme Arnoux se laissait aller à ce genre de faiblesse et était démasquée, ce serait un drame, elle perdrait tout, irait dans le ruisseau ou devrait apprendre la vie de courtisane, comme Rosanette, la maîtresse de son époux, c'est-à-dire de prostituée (de bas étage puis de luxe). Marie Arnoux n'est pas née misérable, elle est une bourgeoise, pas une fille des rues qui cherche à s'en sortir, comme Rosanette. Cette dernière n'a pas eu une vie facile, ainsi qu'elle le racontera plus tard à Frédéric quand elle l'aura pour amant et protecteur, lorsqu'il se sera lassé de soupirer au pied de la chaste et vertueuse Mme Arnoux.

Marie Arnoux n'est pas niaise, elle veut bien agir, être une bonne mère pour ses enfants, qu'on ne se moque pas d'eux en attaquant sa réputation. Son fils pourrait mourir dans un duel. Elle sait mieux que personne, pour l'avoir expérimenté avec son mari, que l'amour s'étiole et ne dure pas. Elle ne veut pas gâcher son amour pur et idéal pour Frédéric qui ressent la même peur car s'ils vivaient leur histoire, ils seraient obligés de mentir, de se cacher et leur amour parfait pourrait se dégrader et disparaître à l'épreuve du quotidien, comme le fera celui de Frédéric et Rosanette. Mais un amour qui n'est pas vécu existe-t-il seulement, si ce n'est dans l'imagination des deux protagonistes ?

L'Éducation sentimentale est l'histoire d'un jeune homme rentier qui s'ennuie, il a la sécurité matérielle alors il rêve de ce qu'il n'a pas : l'amour avec un grand A, pur et parfait. Son ami Deslauriers, qui n'a pas cette sécurité matérielle, rêve quant à lui de ce qui lui fait défaut : le pouvoir grâce à la carrière politique. À la fin des années 1860, à la quarantaine, ils feront le bilan de leur vie.

Grâce à ce roman, Flaubert est arrivé à réaliser une peinture complète de la société de ses contemporains dans toutes ses dimensions, et en particulier historique et politique, en adoptant un ton ironique et mordant. Il ne nous épargne rien de la faiblesse, lâcheté, des contradictions inhérentes à la nature humaine, le contraste cruel entre l'idéal et la réalité. Frédéric fréquente tous les bords politiques et, à travers lui, Flaubert nous en donne une représentation caustique qui a dû déplaire à ses contemporains car le roman, lors de sa parution, n'a pas été un succès.

J'ai beaucoup aimé la dimension satirique du texte. Cette lecture m'a permis de découvrir l'histoire tourmentée du XIXe siècle, la révolution de 1848, le coup d'État de décembre 1851 qui mena au Second Empire, une histoire sanglante qui explique la tonalité sombre et désabusée du roman, la perte des illusions, qui cependant ne tue pas, si on sait se protéger et être du bon côté. Lequel ? Pas celui des naïfs, des idéalistes ?

Telle serait la morale de ce roman énigmatique, incompris en son temps et peut-être encore aujourd'hui car Flaubert refusait de conclure pour nous laisser la possibilité de réfléchir par nous-mêmes, de méditer sur le sens ambigu de son roman, tout en contemplant la beauté de cette oeuvre d'art.

J'ai parfois eu l'impression de regarder un tableau tant les descriptions sont précises, travaillées. Si Frédéric est souvent nonchalant, Flaubert, lui, a dû beaucoup travailler pour arriver à un tel résultat qui frôle la perfection tant les effets de réel sont bluffants, les personnages criants de vérité, l'analyse psychologique profonde.

Quant à la peinture de la vie politique de l'époque, elle est tellement réussie qu'elle amène à songer à la vie politique actuelle. Peut-être était-ce ce que souhaitait Flaubert, que L'Éducation sentimentale ait un rôle à jouer dans l'Histoire, qui est un éternel recommencement, malgré les tentatives infructueuses et incomprises des écrivains. Un de ses amis, Maxime du Camp, dans ses Souvenirs littéraires, dit qu'ils regardaient tous deux, en juin 1871, la carcasse noircie des Tuileries, de la Cour des Comptes et du Palais de la Légion d'honneur, après la révolte durement réprimée de la Commune de Paris, lorsqu'il lui a dit : « Si l'on avait compris L'Éducation sentimentale, rien de tout cela ne serait arrivé. »
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