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Critique de michfred


Frédéric Moreau c'est le double inverse d'Emma Bovary.

Emma meurt d'avoir trop vécu ses rêves, Frédéric vit en se laissant flotter au gré des rencontres comme un bouchon- sans choisir, sans risquer, sans extrapoler, sans anticiper.

Autant le monde d'Emma obéit à une cosmogonie précise, avec ses codes, ses lois, ses figures tutélaires et référentes, autant celui de Frédéric est mouvant, indistinct, peu caractérisé.

Homme d'affaires peu scrupuleux mais pas franc escroc, comme Arnoux, Femme légère et peu farouche mais pas vraie cocotte, comme Rosannette. Homme politique opportuniste, naviguant à vue , mais pas Machiavel, comme Dambreuse...

Un monde interchangeable aussi : Deslauriers, Sénécal, Hussonnet et Moreau sont les trois mousquetaires - et comme eux ils sont quatre- assez peu différenciés de ce roman de formation ...où la formation est justement si paresseuse, si aléatoire, si floue elle aussi.

Encore une fois, Flaubert pourfend la bourgeoisie de province, incarnée par ces jeunes gens prometteurs mais décevants, qui sont les rois de l'occasion manquée, les fils d'une révolution rangée des voitures, les enfants gâtés d'une classe sociale pour qui s'ouvrent toutes les portes, sans qu'ils aient besoin d'y donner des coups de pied. Tout cela ne leur a pas forgé le caractère, et Frédéric Moreau encore moins que les autres.

Il y a du Bel-Ami dans cet amateur du beau sexe mais sans le cynisme et sans le désir: Frédéric s'élève -socialement s'entend- grâce aux femmes mais sans vraiment le chercher ni le vouloir: il" couche" mollement, si vous me passez l'expression.

Il y a aussi du Félix de Vandenesse dans l'amour platonique de Frédéric pour la belle Marie Arnoux, - "madame Arnoux", femme fidèle, directe et aimante de l'affairiste déjà nommé,- mais sans le romantisme flamboyant et mélo De Balzac dans le Lys - sans cancer du pylore pour elle, sans brûlure d'un désir épanché avec une autre pour lui, sans mari bon à enfermer à sainte Anne comme le comte de Mortsauf : Monsieur Arnoux est un bon pépère qui aime le cigare et sa petite famille.

Frédéric ne brûle pas: il cristallise: "Ce fut comme une apparition"... Madame Arnoux ne souffre pas: elle consent à se laisser adorer de loin pourvu que ce petit jeune homme n'aille pas troubler la paix de son ménage. Monsieur Arnoux n'est pas un fou jaloux et paranoïaque, il tape sur le ventre de Frédéric et le trouve d'agréable compagnie.

Pas de désir, pas d'obstacle, pas de difficulté particulière, pas de caractère fantasque ou torturé : l'Education sentimentale est un redoutable robinet d'eau tiède, une machine à distiller du bourgeois conformiste, un alambic à vaporiser sans douleur les illusions. Comme on accepte la chute des feuilles en automne.

Alors parfois on s'ennuie un peu. Pas plus ou pas moins que les personnages eux-mêmes. Mais le style lui est toujours là, parfait, ciselé, capable de rendre brillamment cet univers de grisaille, de dire avec une belle férocité la veulerie petite-bourgeoise des personnages.

Moins percutant, moins profondément ambigu que Madame Bovary, L'Education sentimentale est un miroir sans pitié que Flaubert se tend à lui-même et à toute sa génération.

Frédéric est vraiment le portrait d'un "homme sans qualité" et à ce titre le livre est d'une incroyable modernité.

Désenchanté, amer, sans concession.
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