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Critique de Aquilon62


Difficile d'établir un billet sur ce livre sans trop en dire, alors tentons un exercice d'équilibriste :

Décathlon : à fond la forme !
Bouygues Télécom : on est fait pour être ensemble !
Carrefour : on a tous droit au meilleur !

On a tous en tête ces fameuses signatures de marques, appelées également "claim" (C'est tout de suite mieux en anglais !!!), qui expriment  généralement les valeurs, promesses ou ambitions revendiquées par la marque. Elle s'adresse principalement aux consommateurs (clients comme prospects), mais également éventuellement aux collaborateurs de l'entreprise. Et c'est là que le mot éventuellement prend toute sa signification....

Les salariés de Carrefour ont-ils tous le droit au meilleur ?
Les employés de Bouygues Télécom, ont-ils le droit de ne pas se sentir bien ensemble ?
Les cadres de Décathlon ont-ils le droit de ne pas être toujours en forme ?
Ces signatures que plus personne ne remarque, auxquelles on ne prête même plus tant elle finissent par rentrer dans le langage courant....
Que le premier qui n'a jamais dit "Allez hop, à fond la forme !", me jette la première pierre...
Mais qui c'est déjà posé la question de savoir si pour le salarié ces quelques mots anodins, ne sonnaient pas comme une injonction, voire un ordre...
Ordres et injonctions qui cachent des tragédies. Voilà ce qui arrive à Eric, qui n'a plus la forme : " Lors de réunions importantes, Éric s'était mis à regarder par la fenêtre. Par ailleurs, il avait l'impression que chaque mouvement lui prenait un temps fou. La mélancolie s'annonce sûrement ainsi, par la lenteur de plus en plus lancinante des gestes à accomplir."

Puis voilà que les DRH s'en mêlent : et leurs litanies de questions : pourquoi toi ? comment est-ce possible ? Tu as des problèmes personnels ? Ça arrive à tout le monde de craquer ! Et puis voilà le retour des anglicismes :" burn-out" qui touche ces "workaholic"...
C'est fou dès qu'on parle de souffrances au travail, on se planque derrière des termes anglais, à croire qu'en trouver une dénomination française est compliquée voire honteuse.
Éric est de ceux-là : ces bourreaux de travail qui se réfugient de manière excessive dans leur travail, fuyant outrageusement le bonheur, avant que le travail ne devienne lui-même le bourreau...
Alors avant qu'il ne soit trop tard, avant que la lame du bourreau ne lui tranche la tête, tel un paradoxe c'est à lui de fuir.
Il retrouve via les réseaux sociaux, une ancienne camarade de lycée directrice de cabinet du secrétaire d'État au Commerce extérieur. Enfin c'est plutôt elle qui le retrouve. Elle aussi workaholic, qui se ressemble s'assemble ?
Là interviennent les questions : changer de vie ? , changer de voie ?, tout plaquer pour une nouvelle carrière ?, quel choix faire ?...
Éric prendra sa décision, mais peut-on éviter l'effet boomerang ?
Parfois la vie ne se joue qu'à une lettre de vaillant vous devenez vacillant....

Et à un moment donné, dont je ne dirais rien de trop :
"La vérité était tout autre. Cet arrêt prenait à présent une tournure plus métaphysique. Depuis des années, Éric ne cessait de courir, enjambant les jours. Vers la fin de sa période Decathlon, il lui était arrivé de ressentir comme un besoin de lenteur. Il avait alors éprouvé une lassitude que son entourage avait associée à un burn-out. Il avait regardé droit dans les yeux la mélancolie, et s'était laissé happer par une force remettant en cause l'intérêt de la moindre action. Quelque chose de cet ordre-là revenait maintenant, et il dut admettre que son malaise de la veille ne relevait sans doute pas de la faiblesse passagère. Il fallait être à l'écoute des manifestations du corps. Pourtant, il avait passé une si douce soirée la veille, et une part de lui n'attendait que de retrouver Amélie. Mais, il le sentait sans la moindre ambiguïté : le spleen revenait. Au fond, cette réunion avec Samsung n'avait aucun intérêt. Il se mentait, il jouait un rôle, rien de ce qu'il vivait n'avait la moindre saveur. Au coeur de cette foule à Séoul, il reconnaissait enfin l'essentiel : il se sentait en décalage avec le reste des humains, et ne trouvait plus la moindre motivation pour enchaîner les jours. Il ne voyait tout simplement plus le sens de ce qui lui apparaissait comme une épuisante comédie."

Alors le titre fera irrémédiablement penser à Sénèque et son texte" de la Vie Heureuse". Sénèque qui tente de définir ce qu'est le bonheur, et qui part du paradoxe selon lequel tous les hommes désirent le bonheur sans jamais se demander en quoi il consiste. Puisqu'ils ne le définissent pas, ils partent forcément dans la mauvaise direction. Si suivre les sentiers battus peut être une démarche rationnelle, il faut faire l'inverse pour trouver la vie heureuse : « Gardons-nous bien de suivre, à la manière des moutons, le troupeau de ceux qui précèdent en allant non pas vers où il faut aller, mais simplement où vont les autres. Car rien n'entraîne à de plus grands malheurs que de se conformer à la rumeur publique, en estimant que les meilleurs choix sont ceux du plus grand nombre, de se laisser conduire par la multiplicité des exemples - cela parce que nous vivons non d'après la raison mais dans un esprit d'imitation. »
Si l'on met en parallèle ce qu'écrit Foenkinos : "Plus que jamais, l'humanité se construisait dans le poison de la comparaison. On vivait sa vie en regardant celle des autres, ce qui ne manquait pas d'accentuer le moindre sentiment d'échec personnel. Il devenait presque inévitable de se sentir inférieur ou misérable. Pas assez beau, pas assez riche, pas assez aimé, pas assez heureux."

Alors changer de vie pour dire de changer de vie, à l'heure où tout le monde a ce mot à la bouche, est-ce LA solution ou UNE solution...
Seneque écrivait : « La vie est pièce de théâtre : ce qui compte, ce n'est pas qu'elle dure longtemps, mais qu'elle soit bien jouée. »
Foenkinos écrit : "Certaines vies semblent ainsi être écrites contre l'avis de leur auteur.". Certainement, à mon sens l'une des plus belles phrases du livre.

À moins que telle une signature de marque : "Avec Lycoris Radiata, redevenez l'auteur de votre vie".

« Être heureux, c'est apprendre à choisir. Non seulement les plaisirs appropriés, mais aussi sa voie, son métier, sa manière de vivre et d'aimer. Choisir ses loisirs, ses amis, les valeurs sur lesquelles fonder sa vie. Bien vivre, c'est apprendre à ne pas répondre à toutes les sollicitations, à hiérarchiser ses priorités. » / SENEQUE.
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