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Critique de Alzie


Les dormeurs sont ici renvoyés à leurs songes. On devrait prendre au sérieux une lecture qui incite à entrer dans la nuit en devenant hibou pour faire “l'apprentissage de la vision en conditions précaires”. Métamorphose en animal nocturne, amoindrissement des perceptions visuelles et modifications des conduites ouvrent les portes à l'expérience nocturne moderne explorée dans ces pages. Réunissant noctambules et insomniaques, fêtards et prolétaires, écrivains et personnages de la littérature, philosophes, policiers et hommes infâmes, la nuit version Foessel interroge jusque dans ses artifices les plus ambivalents ou paradoxaux, éclaire autant qu'elle efface, et transporte, depuis les débuts de l'éclairage public, du Paris de Restif de la Bretonne à Las Vegas en faisant d'une apothéose électrique berlinoise une métaphore de la nuit contemporaine. Par-delà l'ancienne opposition métaphysique Ténèbres/Lumières ou jour/nuit retenue par le langage commun, et à côté de Descartes, Kant ou Nietzsche, Michaël Foessel s'attarde plus loin avec bonheur sur de très humaines expériences entre le coucher du soleil et le chant du coq parmi lesquelles on se réjouit de son interprétation de la trahison de l'apôtre Pierre ou de son commentaire sur le combat nocturne de Fitzgerald avec un moustique. Moins voir mais pour être moins vu c'est aussi le programme des noctambules. Leurs nuits rendues plus égalitaires par la pénombre gommant les différences et les distinctions sociales. Nuits de rencontres entre êtres dissemblables et parenthèses de répit en contrepoint de la logique diurne sous contrainte d'un capitalisme sans pause... Sensorielle et perceptive par l'approche, la nuit de Foessel est particulièrement polyphonique par la variété des sources et références empruntées au cinéma (J. Eustache, Hitchcock, F. Fellini), à la peinture (Michaux), à l'esthétique, à la littérature ou la poésie (Rilke, Novalis) etc. Elle est aussi vaste à parcourir philosophiquement que l'immensité étoilée à regarder (Foessel préface d'ailleurs plus récemment un très beau catalogue d'une exposition à Pompidou-Metz : « Peindre la nuit »), et aussi profonde à élucider que la pensée des origines et du noir avec lesquels elle ne se confond pas. La dimension politique de la nuit au coeur de ce petit essai stimulant est moins attendue et ajoute à son attrait. La nuit de Michaël Foessel, propice à un anonymat recherché et qui offre à l'expérience un temps alternatif “sans calcul ni comparaison”, est porteuse d'une promesse de réinvention du lendemain.
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