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Critique de Enroute


Il s'agit de dénoncer l'usage des nouveaux pesticides (de la famille de néonicotinoïdes, car dérivés de la nicotine, surpuissants, quelques parties par milliards dans les airs suffisent à dérouter des abeilles et les tuent en huit jours - or on produits des graines "enrobés", donc vendues toutes entourées de ces pesticides afin que la plante grandisse avec et soit "immunisée" préventivement toute sa vie) et des fraudes de leur fabriquant, Bayer, pour en imposer l'usage, jusqu'à leur interdiction, en France d'abord, puis ailleurs dans le monde.

C'est donc un recensement des méthodes criminelles employées par les chimistes qui s'achève cyniquement (les pesticides sont inutiles) et avec défaitisme (les néonicotinoïdes ont été ou sont sur le point d'être interdits, mais d'autres types de pesticides surpuissants sont sur le point d'être homologués, avec les mêmes méthodes frauduleuses, reprises aux fabriquant de cigarettes US précédemment).

Un essai qui donne envie de manger bio et local. Dans le journal la semaine dernière : une homologation française qui limite l'usage des pesticides mais autorise l'importation de produits qui ont poussé avec.

C'est une étude sur la disparition des abeilles, constatées dans les années 90 en France, concomitamment à l'usage d'une nouvelle famille de pesticides, les néonicotinoïdes, et, en l'occurrence, l'imidaclopride, un insecticide utilisé sur le tournesol. Pendant quatre ans, Bayer, le fabriquant nie. Toute cette famille sera interdite en 2008 en France, puis aux Philippines, et trois produits par l'Ue, certains aux EU aussi. Entre temps : pression, tentative de diversion des causes sur des tiques (auxquelles sont en réalité plus sensibles les abeilles exposées, mais qui meurent de l'exposition, pas de la tique), création d'organismes « Bee Care Center » pour redorer son image par Bayer et surtout dévier l'attention en finançant des recherches sur toutes les autres causes listées de la mort des abeilles considérées comme mystérieuses (et sans que le mot pesticide n'apparaisse jamais), des comptes-rendus falsifiés par Bayer, mais aussi… les ministères français (!) et… le CNRS sur des rapports de ses propres chercheurs (!), des « erreurs » de classifications des produits par les fabricants pour obtenir leur homologation, des méthodologies établies avec des précisions minimales supérieures à celles qui révéleraient la présence du produits, ou qui établissent des comparaisons entre champs « exposés » et champs « témoins » qui sont, eux-aussi, traités, mais avec d'autres pesticides, histoire de montrer qu'avec le produit incriminé il n'y a pas de différence, des licenciements et des rétrogradations – avec toujours ce même discours : pas vu pas pris, tant que la démonstration des effets de mon produits ne sont pas faites, j'attaque en diffamation tous ceux qui en refusent l'homologation et l'achat… et je traficote autant que je peux les méthodologies pour les trouver. Triste. Noir. Et désespérant.

Ces méthodes seraient reprises ou auraient été mises en oeuvre une première fois dans le secteur du tabac. Et aujourd'hui, 75% d'insectes volants en moins dans les campagnes, 10 à 40% d'abeilles en moins en Europe et 30% d'oiseaux en moins. Et même si ces produits sont interdits, les méthodes, elles ne changent pas : d'autres produits sont en cours d'homologation. En conclusion : corruption, corruption, corruption, permise par cupidité et laxisme, incompétence et suivisme, mais aussi l'urgence de l'action, la menace de l'échec ou de l'incrimination… La solution ? relâcher un peu la pression, consommer local, arrêter de suivre les cadences imposées par les grandes groupes, les grands organismes, les autorités lointaines – et vivre sa vie loin de tout cela.

[L'histoire : d'abord Bayer nie, le ministère organise un comité et Bonnatin se propose pour faire des tests, la demande est de ne pas descendre sous 10ppb, il se trouve que Bayer fait partie du comité et on démontre que ce chiffre relève de la méthodologie de Bayer : il descend exprès à 1 ppb : tout est contaminé. Dès l'annonce, Bayer débarque dans le laboratoire pour chercher des prétextes pour invalider les résultats. Fin 98, il présente officiellement ses résultats (à la Commission des toxiques ComTox) sur le tournesol, et déborde à la fin sur ses résultats sur le pollen de maïs : le rétroprojecteur est coupé et il est viré de la réunion. Question ? est-ce que ces concentrations tuent ? La ComTox répond que les abeilles ont des troubles du comportement à quelques ppb. On fait des tests dans les champs dont les champs témoins sont « non traités » (au néonocs, mais ils le sont avec du gaucho, plus toxique, ou au lindane), sans que cela ait été dit. C'est écrit dans les rapports, mais pas dit dans les communications au public. C'est relativement à ces champs que l'effet des néoatics sont testés : Bayer avait en fait accès aux champs durant toute la durée des tests. Bonnatin et Marc-Édouard Colin contactent libération. Quelque jours après, Bayer écrit au CNRS qu'il se désolidarise de Bonnatin et demande que le CNRS fasse un rappel à l'ordre l'accusant de prétendre que Bayer a délibérément menti. Et il reçoit une menace des avocats de Bayer pour des condamnations pénales pour diffamation. Bonnatin monte un dossier complet pour soutenir ses propos et le montre au CNRS. « Au cours de la seule année 2001, trois responsables de syndicats apicoles sont poursuivis pour dénigrement – c'est-à-dire pour avoir prétendu que l'insecticide de Bayer tuait leurs insectes. La firme sera déboutée. », p. 78
Puis en janvier 1999, le ministre Glavany applique le principe de précaution et suspend l'usage de l'imidacopride sur le tournesol (mais pas le maïs). Après publication des études, d'autres suivent : la toxicité chronique (exposition régulière) est plus toxique que des troubles du comportement : mort des abeilles en 8 jours. Fin 2001, nouvelles publications d'autres chercheurs. le ministère organise un groupe ad hoc. Fin 2002, les chercheurs envoient une première version au ministère, qui l'envoie aux apiculteurs qui l'envoient aux chercheurs qui sont estomaqués : ce n'est pas celle qu'ils ont envoyée ; le ministère aurait donc modifié le rapport. Publication fin 2003 : limitruc tue. 2004, suspension de l'autorisation de l'imi truc pour le maïs sur le marché.]


En fin d'ouvrage, il est dit que ça ne sert à rien : sans pesticide, les plantes poussent très bien – en Italie des régions ont refusé l'usage des pesticides et proposé en contrepartie, en cas de problème, des assurances : elles qui coûtent un dixième de ce que les agriculteurs (et donc les européens par la PAC paient pour acheter les pesticides) suffisent à les indemniser en cas d'attaques sur les récoltes.

À voir la conférene de Pierre-Henri Gouyon sur le même sujet, passionnante, qui s'est tenue le 27 février 2024 : https://www.youtube.com/watch?v=tWjCGKIBVXM

Le titre est une référence à "Silent Spring" de Rachel Carson qui envisageait qu'un jour, peut-être, on n'entendrait plus les oiseaux chanter parce qu'ils auraient disparu.
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