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Critique de AMR_La_Pirate


C'est la deuxième fois que le philosophe malien Fousseni Togola me donne à lire un de ces livres dans une démarche de service de presse et je le remercie de sa confiance.
Avant de me plonger dans Bintou, l'enfant philosophe, un essai philosophique sur la place de la femme dans la société malienne contemporaine, j'ai naturellement lu avec intérêt la préface d'Alain Maufinet, découvrant avec soulagement que ce dernier avait pu ressentir des inquiétudes ou appréhensions proches des miennes avant de lire ce livre. Pour ma part, il s'agissait surtout de questionnements autour de ma légitimité pour rendre compte d'un texte philosophique et de ma méconnaissance des réalités de son pays, le Mali, où Fousseni Togola est un écrivain, philosophe, journaliste et blogueur reconnu.

L'héroïne imaginaire et fantasmée de ce livre, Bintou, est une jeune fille, très intelligente, particulièrement précoce. Elle évolue dans un milieu favorisé et ouvert, auprès de son père, Amadou, professeur de philosophie. Ce livre est le récit de leurs discussions, autour de nombreuses problématiques plus ou moins actuelles : la métaphysique, la politique, la société́, le mariage, l'immigration, les nouvelles technologies, le réchauffement climatique… L'auteur a structuré son propos en quatre parties, divisées en jours, suivies de deux « suppléments ». Trois titres sur les quatre reprennent la forme un peu archaïque du « de » latin : « de la métaphysique », « du chaos dans le monde », « Quatre règles de vie à ma fille » et « de la fondation de la famille philosophique ».
L'originalité de l'écriture vient essentiellement du fait que tout ou presque est présenté sous forme de dialogues, dans la transcription des longs débats quotidiens entre le père et la fille. Les journées se suivent et se ressemblent ; après une brève introduction qui nous en apprend, chaque jour un peu plus, sur la famille de la jeune Bintou, élevée dans la tradition africaine musulmane, sur son parcours scolaire et universitaire et sur sa différence, le dialogue s'instaure, après les salutations d'usage.
Il y a une réelle progression, non seulement dans les sujets évoqués, mais aussi et surtout dans les rapports entre le père et la fille ; parfois, la mère est appelée à leurs côtés pour diversifier le débat et explorer de nouvelles pistes. Petit à petits, ses grands frères la prennent davantage en considération et acceptent de parler avec elle. Nous verrons grandir Bintou au gré des questions et raisonnements qui dérangent et inquiètent son entourage, mais auxquels Amadou, son père, propose des éléments de réponse et ce, jusqu'à ce qu'elle prenne sa vie en mains.

La première partie est consacrée aux grandes interrogations sur le bien et le mal, le juste et l'injuste, la mort, le rêve, l'au-delà…
Bintou va poser une avalanche de questions, comme une entant impatiente de comprendre le monde… Qu'est-ce qu'un philosophe ? Y-a-t-il de la vie ailleurs que sur la terre ? Comment une enfant peut-elle intellectualiser la mort, comprendre qu'il existe un discours scientifique et des opinions religieuses ? Peut-on interpréter les rêves ? Un homme a-t-il le droit de battre sa femme ? Quelle est la place des femmes dans les communautés maliennes ? Quelle posture adopter pour lutter contre les injustices et les divergences de points de vue ? Comment parler de progrès social dans un monde en proie à la folie ?
Au bout des sept premiers jours de discussion entre le père et la fille, un livre prend forme à l'intérieur du livre, dans une mise en abyme de l'écriture, chaque partie devenant un tome de l'ouvrage en devenir.

Dans la seconde partie, les propos se recentrent sur la situation politique du Mali et, à partir d'un constat de profond délitement, explorent l'impact des nouvelles technologies, la question migratoire, les causes et conséquences du réchauffement climatique… Bintou a grandi et la routine des conversations s'est assouplie, devenant plus informelle ; les digressions abondent alors que les sujets abordés sont plus concrets. le père, vieillissant, dispense savoirs et méthodologie.
Fousseni Togola, à travers les propos du père de Bintou, fait un rapide bilan de la situation politique du Mali, illustration de la prise d'intérêt et de la corruption dans toutes démarches dite politiques ; il parle de « terrorisme d'état » et étend son observation aux autres pays africains. Ses propositions découlent du bon sens : révisions des constitutions, réélections limitées, intérêt général valorisé, responsabilisation du peuple et retour aux fondamentaux de la République…
Bintou devient de plus en plus « philosophe » et se construit grâce aux débats avec son père vieillissant : elle se passionne pour les questions sociales dites « civilisationnelles ». Naturellement, il va falloir parler de colonisation et de décolonisation, d'exploitation, d'acculturation, d'inversion des valeurs sociétales… La jeune fille détourne vite la discussion vers des revendications « européanisantes », notamment en matière de liberté sexuelle. le père et la fille ne sont pas toujours sur la même longueur d'ondes…
Amadou fait le portrait d'un Mali cultivé, érudit, au potentiel élevé et reconnu en Afrique et dans le monde. Il passe en revue un large éventail culturel, à travers toutes les époques. Bintou s'interroge sur la valeur marchande de la culture et sur la posture artistique.
Il est question d'incivilité, de rejet des responsabilités de chacun. Une journée est consacrée au bien-fondé du progrès scientifique, à l'étude de ses effets paradoxaux sur la société.
La position de la jeune Bintou sur le réchauffement climatique est claire : les pays développés doivent s'engager concrètement à accompagner les pays en développement. C'est l'occasion de citer force chiffres et références.
La question migratoire m'intéresse et, plus particulièrement, la « migration extérieure », « irrégulière », celle qu'il faudrait anticiper, non pas en fermant nos frontières mais en aidant les pays moins développés que les nôtres et surtout ceux que nous avons appauvris par la colonisation… Je suis restée un peu sur ma faim pour cette « journée » que j'aurais souhaitée plus argumentée et détaillée.
Cette partie se termine par la nomination de la jeune Bintou, titulaire d'un Master, sur un poste de professeur de philosophie à l'université ; elle pourra ainsi appliquer la méthode rationaliste dont elle a longuement débattu avec son père.

Puis, le père et la fille abordent des questions de morale et une vision humaniste de la société. Avant de mourir, Amadou souhaite léguer quatre règles de vie à sa fille : être soi-même, être une femme ouverte au monde et consciente de son devoir d'humanisme, faire le bien en toutes circonstances et être prête à se savoir détestée… La dernière règle peut surprendre mais nul n'est prophète dans son milieu et une femme philosophe doit être doublement parée à cette éventualité dans une société phallocratique.

Enfin, la quatrième partie est consacrée au mariage. Cette hiérarchie des thématiques est surprenante pour des lecteurs européens mais il ne faut sans doute par perdre de vue que l'émancipation de la femme malienne n'atteint pas encore les niveaux d'égalité des sexes qui sont évidents et acquis pour nous.
À la mort d'Amadou, Andé a épousé sa veuve. Cet homme est un physicien et c'est avec lui que Bintou va poursuivre rapidement ses débats, surtout pour défendre le fait qu'elle a reçu une éducation poussée et n'a pas eu à subir un mariage précoce, véritable fléau pour la plupart des jeunes maliennes. Bintou va se marier mais sans se soumettre aux traditions en vigueur dans son pays et surtout en créant un fonctionnement familial égalitaire.

Je me permets de formuler quelques remarques et réserves…
Encore une fois, j'ai pu être gênée dans ma lecture par des fautes et coquilles, des mauvaises concordances de temps, des erreurs de pronoms récurrentes quand Bintou devient « il », des lourdeurs et des expressions redondantes propres à l'écriture de Fousseni Togola. Rapidement, j'ai fait abstraction de ces défauts, privilégiant le fond à la forme, me concentrant sur les débats entre les deux locuteurs et les problématiques traitées.
Quand le père répond à sa fille, il est conscient de parler avec une enfant et se propose de se mettre à sa portée ; par son langage et par sa voix, ceux de Fousseni Togola à travers lui, l'auteur se veut vulgarisateur et accessible, didactique. Mais, les développements du père sont très riches en références de grands auteurs ou de courants de pensées… le néophyte risque de se retrouver noyé sous les informations, reçues, pour ma part, comme un catalogue, comme des listes à explorer. Heureusement, une bibliographie détaillée, en fin de volume, reprend les bases de cet univers référentiel.
La temporalité surprend : les journées se seraient-elles pas plutôt une métaphorisation des années ? Certains exemples déroutent car ce n'est pas ceux auxquels nous aurions pu penser au premier abord.
En ce qui concerne le plan du livre, si j'ai pu déplorer des longueurs dans les autres parties, j'ai trouvé la dernière trop brève par rapport à l'ensemble ; le récit du mariage de Bintou et de sa vie de femme mariée est trop vite expédié. Ce déséquilibre m'a déçue dans la construction du livre. Cette dernière partie est plus une forme d'épilogue, peu satisfaisant selon moi, compte tenu de tout ce qui précède.
Bintou, l'enfant philosophe se termine par deux « suppléments » sur la mort et la démocratie dont je n'ai pas compris l'utilité. Fousseni Togola y parle en son nom et revient sur des sujets évoqués quand Bintou est enfant, puis étudiante, comme s'il était nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier… Ces développements deviennent vite indigestes.
Quelques mots, enfin, sur le personnage de Bintou : personnellement, je l'ai trouvée un peu trop idéalisée, idéale dans sa différence ; son âge du début, à peine une dizaine d'années, ou peut-être douze, n'est pas vraisemblable compte tenu de sa capacité de réflexion ; je l'aurais préférée plus adolescente dans ses comportements, plus proches de la réalité.
Heureusement, la deuxième partie nous fait faire un bond en avant : Bintou a alors dix-huit ans. Je ne connais pas du tout la société malienne contemporaine ; les seuls jeunes maliens que j'ai pu croiser étaient des jeunes migrants arrivés clandestinement sur le sol français ; malgré la maturité inhérente à leur parcours, ils restaient des jeunes gens de leur âge et, dans mon imaginaire, Bintou ne leur ressemble pas.

La lecture de ce livre n'a pas été facile pour moi, Ce fut long et laborieux et j'avoue avoir survolé, voire sauté, certains passages, m'attachant aux sujets qui m'intéressaient le plus ; la clarté du chapitrage permet sans peine d'aller à l'essentiel. En effet, l'ensemble est répétitif, routinier, malgré quelques variantes… Il faut de la persévérance pour venir à bout de ce livre. le but de Fousseni Togola est de proposer une approche philosophique pour les enfants et de sensibiliser les parents et les enseignants à cette démarche. Je crains qu'il n'ait placé la barre un peu trop haute.
Là où je le rejoins cependant, c'est dans sa démarche de promotion de l'éducation des filles. Bintou ramène beaucoup de sujet à la situation des femmes, à la sexualité ; ce prisme revêt une importance particulière.
Une conclusion en demi-teinte de ma part. Un livre pour lecteurs curieux et aguerris…
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