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Critique de AugustineBarthelemy


À ce point de folie raconte, de façon romancé, le naufrage de la Méduse. le récit est articulé autour de plusieurs personnages, plus ou moins important dans la catastrophe à venir. La traversée est en premier lieu rapportée à travers les yeux du jeune Victor Aisen, un fils de bonne famille, destiné à être juge, comme son père, mais qui s'enfuit, rêvant d'aventures et d'héroïsme. le jeune Victor s'embarque un peu par hasard sur La Méduse, le plus beau navire de la flotte, le plus sûr aussi. Il y devient garçon de cambuse, pour remplacer celui qui a préféré s'enfuir, effrayé par les dires d'une bohémienne qui lui avait prédit la mort de tous les passagers du bateau. Si le matelot Osée Thomas lui témoigne de l'amitié, Victor déchantera assez vite : le cuisinier et son aide vont passer leur temps à tenter de l'assassiner, pour aucune autre raison que l'envie (et la possibilité de le faire ?). Il est aussi victime, dès la première nuit, d'une tentative de viol. Les beaux idéaux de Victor vacillent assez vite, il se sent prisonnier de cette coquille de noix qui vogue sur les océans, et où l'héroïsme, semble-t-il, est définitivement mort.

Aux espoirs du jeune Victor s'ajoutent aussi ceux de plusieurs familles de migrants : les Picard ou les soeurs Lafitte. le père Picard compte rejoindre le Sénégal où il a acquis des champs de coton. Il rêve de fortune (la main-d'oeuvre n'est pas bien chère), et peut-être aussi de regagner l'estime de sa deuxième épouse, Adélaïde, un dragon qui passe son temps à le blâmer en poussant des cris stridents et des « Charliiiie » qui cassent les oreilles de tout le monde. Il a tout pris, n'a rien laissé en France : ses deux filles, issues d'un premier mariage, son neveu et ses trois derniers enfants, dont un nourrisson, font partie du voyage. Les soeurs Lafitte, elles, de vieilles filles laides, veulent ouvrir un comptoir de commerce à Saint Louis. Elles ont vendu tous leurs biens, ont embarqué des étoffes, des épices, de la farine, toutes sortes de savon, dans l'espoir, elles aussi, de faire fortune. Elles ont un autre petit rêve, un peu plus inavouable : sur ce bateau où la femme est une denrée rare, elles comptent bien mettre la main sur un ou deux matelots.

Et on découvre aussi le commandement. le fameux capitaine Chaumareys et le futur gouverneur du Sénégal, représentant de Louis XVIII, Schmaltz. Chaumareys est un aristocrate, il s'est enfui en Angleterre lors de la Révolution française. Douanier de son état, il ambitionne une place plus en adéquation avec sa valeur. N'a-t-il pas toujours été fidèle au Roi ? Ne doit-il pas en être récompensé ? Et puis son oncle n'a-t-il pas été un grand navigateur, reconnu par tous ses pairs ? A force de lettres et de courriers au ministère de la Marine, il obtient le commandement de la Méduse, petit joyaux de la flotte, merveille de technologie, le plus rapide des navires. de quoi contenter son orgueil et son ambition. le problème ? Chaumareys ne sait même pas utiliser un sextant ni lire une carte marine. En un mot, un incompétent. Et il ne respecte pas ses officiers, qui, eux, sont de véritables marins. Et ses officiers ne le respectent pas non plus. Pourquoi ? Parce que Chaumareys est un royaliste, un aristocrate en bas de soie, un être pompeux et vaniteux alors que les officiers sont des républicains, des bouffeurs d'aristocrates, des êtres sanguinaires qui n'ont que liberté et égalité en bouche. Alors ils se regardent en chien de faïence, se méfient, sapent mutuellement leur autorité. le mépris est réciproque. le mépris sera assassin.

Schmaltz est du même acabit. Royaliste, aristocrate, il n'a qu'un seul souci : ne pas être en retard. Un représentant du Roi, du grand et puissant royaume de France, ne doit pas être en retard. Que dirait les gens ? Ne se moqueraient-ils pas de lui ? Lui qui a pour mission d'apporter la civilisation, d'affirmer la puissance française et d'installer son autorité et sa justice parmi les sauvages ? D'ailleurs, n'a-t-il pas amené dans ses bagages une guillotine, sa Louise, symbole de la justice française et de son équité. Alors un retard est inadmissible, cela saperait d'office son autorité. Il a déjà assez de soucis avec sa femme, Reine, qu'il ne supporte plus. Si seulement elle pouvait passer par-dessus bord, il pourrait prendre une autre femme, plus jeune, moins revêche. Reine, elle, est uniquement préoccupée par sa fille, Arétée, ou plutôt par l'angiome qui envahit son visage. Sa fille est belle, mais cette tache qui s'étend et qui s'assombrit va certainement la priver d'un bon parti. Ses prétendants ne vont-ils pas être dégoûtés par cette atrocité ? Na va-t-elle pas devoir se marier en dessous de sa condition ? Ce serait une honte, elle qui trouve le peuple et son spectacle vulgaire. Pour les Schmaltz, il n'y a que la noblesse pour être digne. En dehors de cette sphère, rien n'existe.

À ce point de folie, c'est la chronique d'une catastrophe annoncée, prévisible et inévitable. La Méduse est un vrai nid de serpents, où la violence et la brutalité sont familières. Il n'y a aucun esprit de corps. Un capitaine incapable et sans autorité, des officiers qui rêvent de mutinerie mais se réjouissent de voir leur commandant échouer, un escroc qui prend le commandement du navire alors qu'il n'est jamais monté sur un navire, des matelots et des soldats en roue libre. Chacun n'est animé que par son égoïsme et son ambition personnelle. Alors quand le navire finit par s'échouer, c'est le branle-bas de combat. Chacun pense à sauver sa peau. Bien évidemment, il n'y a pas assez de canots de sauvetage. Bien évidemment, les aristocrates pensent d'abord à eux. Leur chaloupe peut contenir 60 personnes. Ils ne seront que vingt-cinq à monter dessus. Schmaltz tient à tout prix à emporter sa guillotine, Reine insiste pour embarquer toutes ses précieuses robes : hors de question que les représentants de la France soient considérés comme des pouilleux. C'est une question de représentation. C'est vital. le reste n'existe pas. [...]
Lien : https://enquetelitteraire.wo..
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