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Critique de DragonLyre


J'ai parcouru le précédent titre de Franzobel « À ce point de folie » lors de la Rentrée Littéraire de 2018. J'ai immédiatement été séduite par la qualité de sa plume sophistiquée, dans un climat général qui tend vers une simplification de toute chose. Il m'a fait découvrir un célèbre tableau sous un nouvel angle, « le Radeau de la Méduse ». J'ai toujours eu un faible pour les artistes qui promeuvent ainsi l'oeuvre d'un autre. Autant dire que j'étais enthousiaste à l'idée de me plonger dans son tout dernier ouvrage !

Pas de doute, on reconnaît bien sa patte. Ce style alambiqué, parsemé de références populaires pour un effet tragi-comique. Ses travaux de recherches ne sont pas en reste. On sent cette même volonté de bien faire, d'aller au bout des choses, de livrer des faits au plus juste de ce qu'ils ont pu être. L'ensemble tient à nouveau dans un joli pavé de plus de 500 pages, qui requiert une concentration soutenue à la lecture tant le texte est dense.

Malheureusement, la magie n'a pas vraiment opéré cette fois-ci. Dans les 200 premières pages, la chronologie est tout ce qu'il y a de plus erratique. Un naufrage au Mexique, un recours juridique contemporain aux États-Unis, puis retour vers le futur ! Cela aurait été gérable si le phénomène s'était arrêté là, mais Franzobel continue d'avancer avant de sombrer dans une énième digression. C'est la logique du pas en avant et des trois en arrière, sauf qu'à force de les cumuler, malgré les dates données, je peinais à me repérer. Ajoutons à cela une galerie de personnages introduits par pelletées et le lecteur a plutôt tendance à se noyer qu'à savourer. de par son style, Franzobel grossit leurs traits tant physiques que comportementaux, et dans « Toute une expédition », on flirte bien trop souvent avec la caricature et l'absurde. Chacun se définit par ses défauts… et les qualités… et bien j'ai eu du mal à les débusquer. Ils sont tous franchement antipathiques, impossible de s'identifier à aucun d'entre eux, et certains n'apportent rien à l'intrigue tant ils sont survolés. Comme s'il avait fallu caler là un nom parce qu'il avait été cité dans un document historique quelconque, alors qu'on ne savait pas trop quoi en faire.

Dans les 200 pages suivantes, la chronologie s'est stabilisée. Elle est devenue claire, les personnages s'étant plus ou moins rejoints sur la même ligne temporelle. Franzobel m'a fait visiter les confins de la Havane, puis embarquée dans une exploration longue de quatre ans en Floride, à la conquête d'un or que Desoto n'acquerra jamais. Une expédition mondialement reconnue comme l'un des plus grands échecs des conquistadors. J'avais hâte de partir à la rencontre des différentes tribus de natifs américains, leurs croyances et leur mode de vie titillant ma curiosité depuis l'enfance, mais au fil de ces mêmes 200 pages, je me suis retrouvée confrontée à des schémas répétitifs. Soit les Espagnols pillaient, tuaient, violaient d'entrée de jeu, soit ils se faisaient prendre en embuscade par les amérindiens, soit encore un des deux partis feignait d'être amical pour ensuite mieux écraser leur adversaire. le tout en quelques phrases ou paragraphes, rien d'approfondi ni d'immersif. On prend les mêmes et on recommence, de chapitre en chapitre ! S'ensuit une avalanche de noms de tribus, de chefs, d'événements barbares. Alors certes, en regard des crimes commis par les Européens pendant des siècles, la conquête de l'Ouest mérite de ne plus être glorifiée comme elle l'a longtemps été, mais le message aurait sans doute été plus frappant s'il avait été introduit autrement.

Pour le coup, j'ai été imperméable à l'humour de Franzobel. Les anachronismes tournent l'histoire en ridicule, c'est une farce plus qu'un essai littéraire. Les rebondissements improbables dans la trame d'Elias Plim (jeune espagnol réduit en esclavage à Alger avant s'enfuir et de faire naufrage, pour être ensuite repêché par des pirates) et du malheureux Turtle Julius (qui – à chaque étape – perd un peu plus de sa personne dans cette recherche abracadabrantesque de l'héritier du comte d'Orgaz) sont venus alourdir un récit déjà passablement indigeste. Les fréquentes références à des acteurs et à des produits américains contemporains (football, pop-corn, coca cola,…) ont continué à dénaturer le fond du message ; loin d'être amusants, ils ne faisaient que renforcer l'aspect grotesque de la narration. On nous assène toutes les déclinaisons possibles de l' « infatuation » et on pédale dans la semoule en se demandant où se trouve la pertinence des propos tenus. Car à ne rien prendre au sérieux, il est devenu difficile de démêler le vrai du faux, les faits avérés des fantaisies de l'auteur.

J'ai eu tout du long l'impression de suivre une histoire qui partait dans tous les sens, qu'on étirait au maximum en incluant bon nombre d'éléments qui n'avaient pas forcément grand-chose à y faire. La lecture a été laborieuse et j'ai été plusieurs fois tentée d'abandonner en chemin. Il n'en reste pas moins que Franzobel a abattu ici un travail de documentation colossal, qu'il nous a retranscrit à l'aide d'une plume à la grammaire soignée et au vocabulaire particulièrement riche.
Lien : https://dragonlyre.wordpress..
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