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Critique de berni_29


Je poursuis ma rencontre avec les livres de René Frégni. Je reviens cette fois très en arrière, vers une œuvre de fiction qui s'appelle l'Été, parue en 2002.
L'été, chez René Frégni est une saison brûlante comme le vertige du désir. C'est quelque chose de sensuel et d'incandescent. C'est l'été du sud, de Marseille ou de Manosque, deux endroits chers à l'auteur. Peut-on parler d'un été camusien, noir et jaune qui sont les deux couleurs du soleil chez Camus, la lumière qui nous captive au bord de nos rivages et celle qui nous dévore en dedans ? Oui, il y a quelque chose de cela ici, vif et tranchant comme la lame d'un couteau dans l'éclat de la lumière renvoyée par le ciel au-dessus de nous.
L'Été, c'est en effet une histoire qui commence par la douceur des mots, la nonchalance d'une saison presque banale qui s'étire dans la paresse.
Le narrateur s'appelle Paul et tient un restaurant en bord de mer dans le sud de la France avec son ami Tony. Tout se passe bien jusqu'à la venue de Sylvia. Voilà, le décor est planté. Je pourrais m'arrêter là et vous proposer de continuer seuls à poursuivre le roman sans moi. Mais déjà vous sentez que quelque chose survient, que ce n'est pas une rencontre ordinaire, qu'il va se passer quelque chose de fort, de tragique aussi.
Je vais quand même vous dire deux ou trois mots sur ce roman court de cent trente-neuf pages. Un récit fulgurant qui ne m'a laissé en paix que lorsque je l'ai terminé. Et encore...
Une femme donc survient dans cet été aux allures désinvoltes. Ici c'est encore calme. Nous sommes au bord de la saison estivale. Dans quelques jours, les touristes vont arriver en masse.
Sylvia est belle, mystérieuse, troublante. Un petit cahier l'accompagne sur lequel elle griffonne des notes, des phrases, assise sur une petite table, à la terrasse d'un café en plein soleil, ses jambes nues croisées qui attirent ce soleil brutal. Paul la remarque et ne reste pas insensible à cette présence lumineuse. Il s'en approche. Souvent, je pense à cette image du papillon de nuit, attiré, enivré, par le feu de la bougie, ses ailes effleurent les flammes tout en demeurant à une distance suffisante, sinon elles s'enflammeront. Pourquoi Paul s'est-il approché si près ce jour-là du feu et de la destruction ?
C'est elle pourtant qui a mis de la distance au départ, refusant ses avances, disant qu'elle préférait l'amitié si belle et si douce à l'amour trop souvent destructeur. Comment ne pas la croire ? Paul se laisse prendre au jeu.
C'est une rencontre avec le bruit des vagues, le rire des oiseaux qui effleure l'onde, le ciel qui se courbe sur la peau nue de Sylvia, la caresse du soleil qui se love sur ses courbes généreuses. Ce sont des instants volés à l'éternité, à ce qui viendra après, tout cela peut attendre encore...
Sylvia dit qu'elle vit avec un homme, c'est quelque chose d'étouffant, elle ne peut s'en détacher, c'est un artiste, un peintre, il s'appelle Altona. Elle dit qu'elle a besoin de la tourmente et du tumulte auprès d'Altona, mais qu'elle aime aussi trouver l'apaisement dans la relation auprès de Paul. Pourtant, il y a ce qu'elle dit, il y a ce qu'elle fait...
Il y a, en elle, quelque chose de fatal
Puis Sylvia disparaît, ne donne plus de nouvelles. Paul ne dort plus. Il pense à elle tout le temps. Sa relation avec Tony se détériore. Il devient fou, le silence de l'attente le broie dans cette absence d'elle.
Les nuits sans sommeil s'égrènent comme les marches d'un escalier dans lesquelles on trébuche jusqu'à la désescalade.
Sylvia apparaît comme une femme mal aimée, blessée, et ses blessures secrètes deviennent comme des puits sans fond où s'enfoncer encore plus dans le vertige devient comme une obsession pour Paul.
Paul devient jaloux.
Un soir, Sylvia appelle Paul, elle est totalement désemparée... Elle appelle au secours... Voilà, je n'irai pas plus loin dans le récit. L'Été est l'histoire d'un amour incandescent et tragique, vous savez, cette chose qui brûle au fond de nous, parfois on y est un peu pour quelque chose mais souvent on n'a pas vu la trainée de feu arriver, on n'a rien voulu entendre, c'est un peu comme Paul qui ne veut pas écouter Tony.
Ce roman court est une plongée sans fin dans les méandres de nos terres intimes où gisent le désir, la jalousie, la capacité de détruire l'autre et soi-même. Il y a des étoiles qui brûlent le ciel, elles brûlent aussi les yeux et les coeurs de ceux qui s'en approchent.
Et pourtant, les papillons de nuit que nous sommes aiment rejoindre la cruauté de la lumière. Même sous nos paupières, cette lumière nous poursuit inlassablement.
Une voix pourtant nous intime de retrouver les terres perdues de notre enfance. Mais comme Paul, nous n'entendons rien, nous posons nos mains sur nos oreilles et avançons fébrilement sur le fil tendu vers le soleil brûlant, noir et jaune, le soleil camusien...
J'ai aimé ce récit vif et alerte, même si ce n'est pas celui que je préfère de cet auteur que j'appris à connaître au fil de quelques ouvrages et que j'aime beaucoup. Je préfère le côté "autobiographique de cet écrivain à son côté "fiction", étrangement il me paraît plus achevé. Je reconnais pourtant ici un pan intime de son chemin, quelque chose de sensuel et de douloureux, quelque chose d'essentiel comme une pierre qui donne un sens à son œuvre ; je soupçonne que Paul a quelque chose à voir avec l'auteur, lui ressemble étrangement. La candeur, la spontanéité, l'aveuglement du narrateur pourraient prêter à sourire, nous pourrions dire poliment, quel fou ! Mais une humilité de derniers instants nous oblige à nous retenir avec pudeur, contempler le désastre dans lequel Paul s'embrase, dire que peut-être nous n'aurions pas fait mieux... C'est magnifiquement écrit, c'est brûlant et poignant. C'est comme le reflet de la lame d'un couteau dans le ciel d'été qui bascule. Désolé, mais moi je chavire...
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