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Critique de berni_29


Dans « Tu tomberas avec la nuit », René Frégni nous tend la main et nous invite à venir et revenir avec lui dans le milieu des prisons. J'évoque le fait de revenir car nous sommes plusieurs lecteurs à aimer cheminer dans le monde de cet auteur sensible, attachant et que nous commençons à connaître peu à peu, de récits autobiographiques en romans et parfois les deux se mélangent avec harmonie dans une écriture fraternelle.
Ici il est question des rencontres au parloir dont le temps est effroyablement minuté, des cris des prisonniers dans la nuit carcérale, de l'écriture qui chemine comme une faille dans un mur...
Nous retrouvons cet univers que l'auteur connaît bien, il l'a fréquenté des deux côtés. Quand il était jeune il a été emprisonné pour avoir déserté de l'armée. Plus tard, il a franchi de nouveau les portes de quelques prisons pour animer des ateliers d'écriture : celle d'Avignon qui n'existe plus, Les Baumettes à Marseille et celle de Luynes qui est le théâtre du livre dont je viens de terminer la lecture.
René Frégni sait nous parler de ce milieu carcéral avec une rage et une sensibilité à fleur de peau, les mots qu'ils convoquent pour nous les offrir sont écorchés, saignent du dedans. Il est proche de ces hommes qu'il a côtoyé autour des livres, le temps d'un rayon de soleil parmi les geôles et les matons, le temps de déplier quelques phrases et d'y poser un fardeau, une douleur, un manque, un abîme. Il sait nous en parler comme des frères. Peu importe ce que ces hommes ont commis comme crimes affreux, il n'est pas là pour juger, et nous non plus, ces hommes ont déjà été jugé par la justice, ils purgent désormais leur peine, parfois depuis vingt ans et plus... Ici il est juste question d'apporter un peu d'humanité par les livres, un cahier, des stylos...
« Tu tomberas avec la nuit » est un récit autobiographique.
Lors d'un atelier d'écriture qu'il anime à la prison de Luynes, René Frégni se lie d'amitié avec Max, un truand marseillais. Plus tard, Max sort de prison, l'occasion lui est donné de venir en aide au narrateur qui est sans cesse harcelé par une famille malveillante de son quartier, Pour sceller leur amitié, les deux hommes décident d'ouvrir un restaurant ensemble...
C'est à partir de ce moment-là qu'un engrenage effroyable va se déclencher : son arrestation à l'aube, la perquisition de son appartement, une terrible garde à vue, l'acharnement du juge, la présomption d'innocence piétinée bafouée, de nouveau des perquisitions décidées par des motifs absurdes et sous les yeux effarés de sa fille Marilou qui ne comprend rien...
Pourtant nous étions prévenus dès la première phrase du récit : « le 17 octobre à trois heures de l'après-midi, j'ai plaqué mes mains sur mon visage et je suis resté de longues minutes derrière le velours noir de mes paupières. Quand j'ai ouvert les yeux j'avais pris une décision, j'allais tuer le juge ».
Dès lors, c'est une descente aux enfers qu'il nous est donné de partager avec ce récit à vif de l'auteur, sans doute autobiographique pour une très large part. Une grande humanité est là aussi, au détour de la phrase, le sourire qui court sur le visage d'un ami, la beauté d'un visage aimé, l'envie de protéger une enfant affolée par la cruauté des grandes personnes.
L'écriture est comme un coup de poing. le rythme est mené jusqu'au bout avec beaucoup de vivacité, il ne nous laisse à aucun moment sans répit. À coup de canif, René Frégni dénonce l'innommable : l'insalubrité des lieux de détentions français, la justice qui dérape avec des juges qui se croient au-dessus des lois et qui s'octroient tous les pouvoirs, la vie qui peut brusquement trébucher et chuter dans un vide sidéral sans qu'on n'y prenne garde...
L'humanité est là comme un cri de désespoir jeté depuis le silence humide d'une cellule. On voudrait lancer derrière les barreaux une corde tissée avec des phrases. On voudrait serrer contre notre coeur ces enfants qui ont peur de grandir dans ce monde inconnu et parfois hostile.
J'ai aimé la fin puissante de ce récit, ces mots criés à la lumière, au vent et à la mer.
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