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Critique de MademoiselleBouquine


Il y a douze ans, Ingrid a disparu. Depuis, son mari et ses deux filles font avec, ou plutôt sans. Gil se réfugie dans ses livres et sa misanthropie, Nan dans son rôle aussi pénible que salvateur de femme courage, Flora dans son immaturité et son statut frivole de petite dernière.

Ils se sont trouvé un nouvel équilibre, peut-être un peu moins orthodoxe ou reluisant que d'autres, mais stable tout de même, convenable, mieux que rien. Il y a les rancoeurs, les souvenirs mal dépoussiérés, les malentendus et les tabous, mais on n'en parle pas. A quoi bon ?

Un jour, Gil fait une attaque. Il s'adresse à sa femme, jure sur ses grands dieux l'avoir croisée dans la rue, déblatère à propos de lettres, de livres. On n'y comprend rien. Il doit être au bout, à force, la solitude, ça lui a abîmé le cerveau. Mais alors que ses deux filles se relaient à son chevet et tentent d'apaiser ce qu'elles imaginent être des délires de pré-sénilité, elles réalisent petit à petit qu'il leur reste encore beaucoup à apprendre sur la réalité du mariage de leurs parents, et que les réponses qu'elles cherchent se trouvent plus près d'elles qu'elles n'auraient pu le penser. A travers des lettres, des souvenirs, des aveux, des déductions, des confessions, l'histoire somme toute classique et pourtant toujours aussi fracassante des secrets et des trahisons se révèle petit à petit, et les deux jeunes femmes font la connaissance d'une nouvelle Ingrid, moins lisse, moins douce, moins heureuse.

Reste à savoir si elles sont prêtes à accepter ce qu'elles apprennent.

Le roman est tranquille, tourné vers ses personnages et leurs tourments, et progresse petit à petit, sans drame ni fracas. Il rentre sans doute dans la catégorie un peu éculée des récits "intimistes", concentrés sur des enjeux psychologiques et relationnels, des histoires personnelles qui révèlent aussi bien les tréfonds des personnalités des protagonistes que certains enjeux politiques et sociaux plus larges. Ce mariage anglais parmi d'autres, c'est un mariage qui obéit à des mécanismes intemporels et universels, un cas particulier qui n'a rien de singulier, une allégorie un peu extrême d'une situation un peu trop commune.

C'est une histoire qui avance à tâtons, comme effarée elle-même d'avoir à tout retourner sur son passage et ressortir les vieilles casseroles. Elle se dévoile à un rythme assez classique, alternant entre une narration du point de vue de Flora et des lettres écrites par Ingrid, peu avant sa disparition. Les informations arrivent au compte-gouttes, éclairant les personnages sous une lumière tout à fait différente de celle à laquelle on avait droit au départ - quoique pas si surprenante que cela.

Ce n'est pas un roman à grande révélation, une intrigue à mystère ou un étalage de passions. Ici, tout se joue dans l'implicite, le symbole, le tacite, et même l'hypocrisie et le mensonge. L'autrice ne tente pas longtemps de faire croire à l'illusion d'un mariage heureux, et heureusement, mais s'attache au contraire à décortiquer couche par couche l'ensemble des vices et des rancoeurs qui pourrissaient lentement la relation entre Ingrid et Gil, en arrivant plutôt bien à rester dans une forme de violence banale distillée jour par jour des années durant plutôt que de déraper vers de grandes explosions furieuses peu crédibles.

Le récit procure un certain nombre de frustrations : il y a celle, exaltante, de ne découvrir que petit à petit les dessous du mariage de Gil et d'Ingrid, celle, un peu plus lassante mais compréhensible dans le contexte de l'histoire, de faire face à des personnages aussi enfoncés dans leur déni et leur immaturité - notamment Flora -, et enfin, celle nettement plus décevante de n'avoir droit qu'à une fin à moitié dessinée. Après une intrigue qui invoquait fréquemment de nombreux tropes sur les relations amoureuses, le mariage, la domination et la soumission au sein du couple, on aurait voulu une proposition un peu plus audacieuse - ou du moins plus assumée - que l'espèce de suggestion timide et inachevée avec laquelle on est laissé. Rien qui ne gâche fondamentalement l'expérience du roman, rien qui ne fasse renier le plaisir que l'on a eu à explorer son atmosphère douce-amère, mais un final un peu trop timide qui aurait pu, s'il avait été moins conventionnel, permettre à ce texte d'atteindre un tout autre degré d'émotion et d'intensité. le tout reste assez travaillé et pertinent, notamment dans sa construction et dans la façon dont les biais des personnages sont intégrés subtilement à la narration. Une lecture troublante, touchante, qui laisse derrière elle un petit spectre de nostalgie et de mélancolie.
Lien : https://mademoisellebouquine..
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