AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de miriam


miriam
12 septembre 2016
Un roman féministe?

Tiresias, le devin aveugle de Thèbes qui apparut à Ulysse était hermaphrodite, Tiresia, l'une des héroïnes de l'Ultime Humiliation est femme et devineresse...Rhéa Galanaki choisit aussi de féminiser le Minotaure. Dans l'appartement athénien, ne vivent que des femmes : Tiresia et Nymphe, deux professeures retraitées, Danaé l'assistante sociale, Catherine leur sert de chaperon et Yasmine vient faire le ménage.Les fils feront une apparition tardive : Oreste et Takis et le petit Ismaël. Un lointain patriarche exerce une influence occulte....

Un roman historique?

Athènes, 12 février 2012

Le Monde 13 février 2012 raconte :

"Pendant que les députés débattaient et votaient des nouvelles mesures d'austérité, dimanche 12 février, Athènes brûlait. Près d'une vingtaine d'immeubles ont été incendiés après la dispersion d'une grande manifestation hostile au nouveau "mémorandum" que la Grèce s'engage à appliquer auprès de ses partenaires européens. Dans la nuit de dimanche à lundi, l'Attikon – un magnifique cinéma à l'ancienne du centre de la capitale – était encore ravagé par les flammes, tout comme un immeuble désaffecté à quelques dizaines de mètres. Les pompiers continuaient leur intervention au siège d'Alphabank, d'où les flammes avaient cessé de sortir......"

C'est autour de ce fait précis, autour de cette manifestation que s'organise le récit. Tiresia et Nymphe, ulcérées par les coupes dans les retraites, menacées d'être expulsées de leur appartement, décident de se joindre aux manifestants.

Rhéa Galanaki raconte cet épisode dans le style de la tragédie antique :

"Athènes est au sens propre une tragédie : voilà ce qu'avaient écrit sur les banderoles les gens défilant par vagues interminables. Il ne semblait pas y avoir de cas isolés ou de rôles à part dans cette tragédie moderne : c'était au sens propre; l'âme d'une ville qui expirait devant elles; Seul le choeur de cette tragédie contemporaine conservait quelques éléments de son origine antique. En effet les deux femmes ne cessaient d'entendre le choryphée[....] et le choeur des temps modernes les (les slogans) répétaient adoptant une voix rythmée et une démarche cadencée....".

La place (Syntagma) "elle était devenue une double place, mais aussi une place à double sens".

A la manifestation pacifique succède l'émeute, où les deux femmes sont piégées. Parmi les hommes-en-noir, les émeutiers casqués, elles croient reconnaître Takis et Oreste. Après les affrontements, après l'incendie du cinéma elles s'écroulent et sont incapable de retrouver le chemin de l'appartement.

Un roman politique

"Tragédie et démocratie sont les enfants d'une même mère...."

Rhéa Galanaki décrit les partis qui s'affrontent : Aube dorée qu'a choisi Takis, le fils de Catherine, la Crétoise et d'un policier défunt, les groupes anarchistes ou gauchistes où milite Oreste. Elle compare ces affrontements à la révolte des étudiants de l'Ecole Polytechnique en novembre 1973, Nymphe et le père d'Oreste en étaient les héros. Les deux générations s'opposent, les héros, sont ils devenus corrompus? La crise que traverse la Grèce leur est-elle imputable? J'ai déjà lu des allusions à ces politiciens dans les livres de Petros Markaris. Rhéa Galanaki et Markaris ont travaillé ensemble, entre autres au scénario d'un film de Theo Angelopoulos.

Catherine, elle aussi s'interroge :

"c'est ainsi qu'elle eut pour la première fois la possibilité de s'interroger sur les différents types des gens de gauche, et l'opportunité de se demander si les membres de la gauche actuelle étaient différents ou non, de la génération d'autrefois."

Venant d'un village martyr des nazis pendant la seconde guerre mondiale, elle ne peut accepter les analogies entre Aube Dorée, le parti fasciste où milite son fils, et les agissements des Allemands. Une très belle scène, par la suite raconte comment les vieux Crétois ont chassé Aube Dorée du village.

Une fresque antique

Après la représentation des événements du février 2012, dans le style de la tragédie antique, l'errance de Nymphe et de Tiresia, incapables de retourner chez elle,vivant dans la rue avec les SDF, est une véritable Odyssée.

L'Ultime Humiliation est-elle la déchéance de tous ces Athéniens paupérisés par la Crise et réduits à la condition de clochards sans droits, sans identité, mendiants dans la jungle urbaine?

"A leur manière les sans-abri d'Athènes sont aussi les révoltés de notre temps."

Rien n'est moins sûr! L'Ultime Humiliation est aussi le nom donné à une icône appelée aussi "le Christ de pitié". C'est d'ailleurs par une allusion à cette icône que s'ouvre le roman. On peut lire le livre à la lumière d'Homère et de l'Odyssée mais il ne faut pas oublier la composante orthodoxe de la culture grecque.

Un roman d'une grande richesse

On peut s'attarder à l'analyse politique de la Grèce en crise en 2012, on peut s'attacher à la mythologie. Mais ce n'est pas tout.J'ai remarqué une allusion àCavafy, des vers du Facteur chanté par Moustaki, qui est un poème de Manos Chadjidakis (ce que j'ignorais),un chapitre entier dédié à Théo Angelopoulos à l'occasion de l'incendie du cinéma Atikon... et bien d'autres pépites...


Lien : http://miriampanigel.blog.le..
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (4)voir plus




{* *}