AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de leboncoinlecture


Cet ouvrage qui fait figure de catalogue à l'exposition dédiée pour la première fois en France en 2017-2018 à l'artiste rom autrichienne Ceija Stojka est d'une grande richesse pour approcher sa vie et son oeuvre, picturale surtout.

Un article nous présente d'abord l'histoire des Roms d'Autriche de l'entre deux guerres aux années 2000, faisant état des discriminations violentes allant jusqu'à des lois iniques et inhumaines pour le résultat concentrationnaire et génocidaire que l'on connaît. "En Autriche, la population rom et sinti a été annihilée à 90%, et à une ou deux exceptions près, les cent-vingt villages roms ont tous été détruits" (p.23).

L'article de Philippe Cyroulnik, critique d'art, évoque les parcours personnel et artistique de Ceija Stojka. En spécialiste, il compare son oeuvre avec celle d'autres artistes abordant les mêmes thèmes - mieux vaut être connaisseur ou adepte de la recherche internet pour s'y retrouver. Mais il énonce ensuite de façon très claire et éclairante les grands principes de la peinture de l'artiste, renvoyant pour exemple à quelques uns des tableaux présentés par la suite : sa peinture n'a pas de vocation réaliste ni documentaire, il s'agit de remémorations. "C'est pour donner vie à une image intérieure qu'elle recourt à un outil, et non pour être conforme à un canon de la représentation" (p.38-39).

Elle peint des images qu'elle a par ailleurs fait surgir à l'écrit, à travers ses souvenirs ou ses poèmes. de fait, régulièrement, les peintures sont accompagnées d'extraits de ces écrits, leur faisant écho, les explicitant ou les contextualisant ; et pour avoir lu "Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen" et le recueil "Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes", j'ai effectivement trouvé le tout très complémentaire.

Elle utilise aussi bien le noir et blanc (surtout pour les scènes d'arrestation, de camp et de mort) que la couleur (avec une variété fantastique, souvent beaucoup de vivacité et un regard subtilement précis pour ce qui est de la nature, du ciel notamment - ce qui peut sembler détoner de ses figures humaines qui peuvent paraître schématiques, grossières ou enfantines mais qui sont tout à fait dans la veine de l'expressionnisme et d'une grande puissance émotionnelle et/ou sémantique).

Une centaine d'oeuvres est reproduite et présentée en quatre grandes étapes : "le temps perdu d'avant le désastre", "la traque et l'enfermement", "les stations de l'enfer" (les différents camps qu'elle a connus), "libération et retour au monde".
L'ouvrage se termine sur une biographie par date illustrée de photographies.

Ce que je retiendrai :
Un sens inné du cadre et de la mise en scène ;
Les trois tableaux représentant le refuge trouvé dans la végétation lors des traques : des branches qui saturent l'espace du tableau et des paires d'yeux, parfois des corps, qu'on devine, enfouis effarés derrière ce rideau protecteur ;
Certains tableaux au cadrage "à hauteur d'enfant", évoquant clairement des images vues par elle à l'époque (elle est entrée pour la première fois dans un camp à 9- 10 ans et en est sortie à 12 ans ;
Quelques tableaux sur la période à Bergen-Belsen pages 154-155 (série la plus sombre et la plus intense selon moi, la mort rôdant partout) : peinture d'un noir intense, qui étouffe le blanc, complètement abstraite, mais d'une puissance évocatrice qui tord les tripes, comme l'indiquent leurs titres : "Le dénouement, la souffrance, je les sens encore. 19-01-2003. Les cadavres près de nous les vivants", "Mort", "Direction le crématorium" ;
La particularité de sa signature, expliquée par Philippe Cyroulnik : son nom est systématiquement accompagné d'une branche d'arbre - qui selon elle, lui a permis de survivre à Bergen-Belsen car elle s'en est nourrie (elle le raconte dans "Je rêve que je vis ?"). Mais cela va au-delà d'un simple signe, simple trait, la plupart du temps, cette branche est très travaillée, stylisée et complètement intégrée au tableau. Je trouve que c'est un puissant témoignage de la permanence du souvenir, du traumatisme et en même temps de l'espoir et de la renaissance. J'imagine le flot d'émotions qui a pu la traverser à chaque fois qu'elle a peint minutieusement cette branche.

Un ouvrage passionnant et bouleversant, tant pour l'histoire humaine que pour l'histoire personnelle, tant pour le témoignage par les oeuvres que pour les qualités artistiques.

Commenter  J’apprécie          50



Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}