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Antoine de Galbert (Directeur de publication)
Fage éditeurs (31/01/2018)
4.86/5   7 notes
Résumé :
L'exposition de La Maison rouge réunit pour la première fois en France plus de cent cinquante oeuvres de l'artiste rom Ceija Stojka , née en Autriche en 1933. Déportée à l'âge de dix ans, elle survit à trois camps de concentration, Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen.
C'est à cinquante-cinq ans qu'elle rompt le silence et se lance dans un fantastique travail de mémoire, lequel donne naissance à plusieurs recits et à plus d'un millier d'oeuvres... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ceija Stojka est une Rom autrichienne née en 1933. Elle a été déportée, à dix ans,  après la mort de son père à Dachau-  avec sa mère, ses frères et ses soeurs dans trois camps de concentration successifs:  Auschwitz,  Ravensbrück  et Bergen-Belsen.

Miraculeusement échappée à l'enfer , avec sa mère, elle retrouvera une partie de sa fratrie et reprendra sa vie de rom, vendant des tapis sur les marchés. 

Elle rencontre  en 1986, Karin Berger,  chercheuse et documentariste autrichienne qui rassemble difficilement des témoignages de Roms pour un livre sur les femmes en camp de concentration. Les Roms en effet se refusent à tout témoignage sur le Samudaripen- le génocide des Roms- 90% d'entre eux ont disparu , en Autriche. Leur fierté et leur volonté impérieuse  de se tourner vers la vie semble les murer dans un silence digne et douloureux.

Ceija sera la première à briser ce silence.

Elle a 55 ans, n'a jamais écrit ni dessiné.  Pure autodidacte, elle se lance pourtant dans un témoignage -fleuve écrit, peint, dit et chanté.

Sur son poignet gauche,  le matricule indélébile Z 6399 lui rappelle qu'elle n'a pas rêvé et qu'elle est vivante.

 Avec les mains, les doigts, des couteaux, des pinceaux, de l'acrylique, de l'encre, du sable, des mots,  sur des toiles, des cartons, des papiers, des photos, elle peint comme on parle, elle dessine comme on raconte. Avec son coeur, ses tripes, avec toute son âme sensible et vibrante de tsigane. 

Autant le dire tout de suite: ce témoignage est un vrai coup de poing.
On entre, dès les premières toiles, on est happé, sidéré.
On en sort lessivé,  bouleversé. Sans mots.

 Un art brut, oui, expressionniste, sans doute, on pense à Munsch,  à  Ensor, pour la force éruptive de l' expression, la crudité  de la couleur, le jaillissement du cri. On pense à  Zoran Music, bien sûr,  à  Félix Nussbaum, aussi, pour le sujet. A Kiefer pour la matière mêlée aux mots.

Mais Ceija,  elle, ne les connaît pas. Elle sait seulement que tout ça doit sortir, qu'il le faut.

Et c'est sa vie d'avant- "Quand nous roulions"- et sa vie d'après, qu'elle peint dans le desordre -l'exposition reclasse, recadre tout ce chaos-  et, entre l'avant et l'après ce sont  la traque, la prise, les camps de la mort, comme les cercles de l'enfer,  qu'elle nous jette au visage comme elle les extirpe de sa mémoire de petite fille terrifiée : sans ménagement.

 La peinture de Ceija sort d'elle comme une lave, comme un lac qui brusquement dégèle.

Quelle immense artiste, sans le savoir!

Des cadrages étonnants, une symbolique instinctive, des peintures d'un primitivisme à  la fois innocent et instinctivement savant, mais aussi des toiles presque abstraites où l'expérience est comme quintessenciée -" z6399",  "zyklon B" , et les trois étonnants  et superbes tableaux de la traque dans les buissons du Parc du Congrès de Vienne où,  apres l'arrestation de son mari, Sidi, la maman, se cache avec ses six enfants: 7 paires d'yeux noirs terrorisés derrière un entrelacs de broussailles..

C'est aussi, étonnamment,  un hymne à la vie, un chant d'amour à sa mère, que la petite Ceija n'a jamais quittée jusqu'aux seuil de l'enfer -elles auront la "chance" d'être envoyées ensemble à Ravensbrück, quelques jours avant la liquidation du camp tsigane d' Auschwitz ...

J'aurais voulu y revenir plusieurs fois, pour puiser dans cette peinture tout l'élan vital et le courage qu'elle distribue aussi généreusement qu'elle a mis d'energie à aborder l'horreur. Mais l'exposition est close  , et bientôt le musée de la Maison rouge lui-même fermera ses portes.

Je resterai longtemps hantée par l'univers de cette vieille dame qui a su garder intact son coeur de petite fille pour jeter sur la page la plus cruelle de notre histoire ce regard singulier, authentique, décapant et si profondément humain.
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Cet ouvrage qui fait figure de catalogue à l'exposition dédiée pour la première fois en France en 2017-2018 à l'artiste rom autrichienne Ceija Stojka est d'une grande richesse pour approcher sa vie et son oeuvre, picturale surtout.

Un article nous présente d'abord l'histoire des Roms d'Autriche de l'entre deux guerres aux années 2000, faisant état des discriminations violentes allant jusqu'à des lois iniques et inhumaines pour le résultat concentrationnaire et génocidaire que l'on connaît. "En Autriche, la population rom et sinti a été annihilée à 90%, et à une ou deux exceptions près, les cent-vingt villages roms ont tous été détruits" (p.23).

L'article de Philippe Cyroulnik, critique d'art, évoque les parcours personnel et artistique de Ceija Stojka. En spécialiste, il compare son oeuvre avec celle d'autres artistes abordant les mêmes thèmes - mieux vaut être connaisseur ou adepte de la recherche internet pour s'y retrouver. Mais il énonce ensuite de façon très claire et éclairante les grands principes de la peinture de l'artiste, renvoyant pour exemple à quelques uns des tableaux présentés par la suite : sa peinture n'a pas de vocation réaliste ni documentaire, il s'agit de remémorations. "C'est pour donner vie à une image intérieure qu'elle recourt à un outil, et non pour être conforme à un canon de la représentation" (p.38-39).

Elle peint des images qu'elle a par ailleurs fait surgir à l'écrit, à travers ses souvenirs ou ses poèmes. de fait, régulièrement, les peintures sont accompagnées d'extraits de ces écrits, leur faisant écho, les explicitant ou les contextualisant ; et pour avoir lu "Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen" et le recueil "Auschwitz est mon manteau et autres chants tsiganes", j'ai effectivement trouvé le tout très complémentaire.

Elle utilise aussi bien le noir et blanc (surtout pour les scènes d'arrestation, de camp et de mort) que la couleur (avec une variété fantastique, souvent beaucoup de vivacité et un regard subtilement précis pour ce qui est de la nature, du ciel notamment - ce qui peut sembler détoner de ses figures humaines qui peuvent paraître schématiques, grossières ou enfantines mais qui sont tout à fait dans la veine de l'expressionnisme et d'une grande puissance émotionnelle et/ou sémantique).

Une centaine d'oeuvres est reproduite et présentée en quatre grandes étapes : "le temps perdu d'avant le désastre", "la traque et l'enfermement", "les stations de l'enfer" (les différents camps qu'elle a connus), "libération et retour au monde".
L'ouvrage se termine sur une biographie par date illustrée de photographies.

Ce que je retiendrai :
Un sens inné du cadre et de la mise en scène ;
Les trois tableaux représentant le refuge trouvé dans la végétation lors des traques : des branches qui saturent l'espace du tableau et des paires d'yeux, parfois des corps, qu'on devine, enfouis effarés derrière ce rideau protecteur ;
Certains tableaux au cadrage "à hauteur d'enfant", évoquant clairement des images vues par elle à l'époque (elle est entrée pour la première fois dans un camp à 9- 10 ans et en est sortie à 12 ans ;
Quelques tableaux sur la période à Bergen-Belsen pages 154-155 (série la plus sombre et la plus intense selon moi, la mort rôdant partout) : peinture d'un noir intense, qui étouffe le blanc, complètement abstraite, mais d'une puissance évocatrice qui tord les tripes, comme l'indiquent leurs titres : "Le dénouement, la souffrance, je les sens encore. 19-01-2003. Les cadavres près de nous les vivants", "Mort", "Direction le crématorium" ;
La particularité de sa signature, expliquée par Philippe Cyroulnik : son nom est systématiquement accompagné d'une branche d'arbre - qui selon elle, lui a permis de survivre à Bergen-Belsen car elle s'en est nourrie (elle le raconte dans "Je rêve que je vis ?"). Mais cela va au-delà d'un simple signe, simple trait, la plupart du temps, cette branche est très travaillée, stylisée et complètement intégrée au tableau. Je trouve que c'est un puissant témoignage de la permanence du souvenir, du traumatisme et en même temps de l'espoir et de la renaissance. J'imagine le flot d'émotions qui a pu la traverser à chaque fois qu'elle a peint minutieusement cette branche.

Un ouvrage passionnant et bouleversant, tant pour l'histoire humaine que pour l'histoire personnelle, tant pour le témoignage par les oeuvres que pour les qualités artistiques.

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Naïve et poignante, solaire et témoin de l'enfer, une oeuvre extraordinaire. Les tableaux de Ceija Stojka (comme sa poésie) serrent le coeur et éblouissent les yeux, l'espace autour et "l'espace du dedans." Magnifique ouvrage.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Il y a chez Ceija Stojka une très grande liberté formelle qui vient justement du fait qu'elle est autodidacte. Si elle travaille autant à la main qu'au pinceau, usant des outils sans se préoccuper des règles en usage dans l'économie de la peinture, c'est parce que, chez elle, l'expression prime sur le métier. C'est avec ses mains qu'elle peint certains de ses paysages ou de ses corps fantomatiques. C'est pour donner vie à une image intérieure qu'elle recourt à un outil, et non pour être conforme à un canon de la représentation. C'est aussi ce qui l'amène à ne pas craindre de mélanger images et textes. (...) ( le texte) est l'équivalent graphique de complaintes et de cris c'est pourquoi il est présent essentiellement dans ses scènes concentrationnaires ; particulièrement dans ses dessins, mais quasi absents dans les tableaux évoquant l'avant ou l'après du désastre.
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Il faut que tu imagines, on était un peuple qu'on a toujours et toujours considéré comme les méchants. Les migrants, les Tsiganes, qui volent, qui mentent, qui puent, ce sont des sorcières qui jettent des sorts, et je ne sais quoi d'autre encore qu'on a dit sur nous. Mais en réalité, il y avait chez nous une vie de famille où un rien suffisait au bonheur de chacun (p. 168).
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Est-ce la crainte viscérale qu'on oublie, et la peur "qu'Auschwitz dorme seulement" comme elle le dit lors d'interviews pour en exorciser la menace?
Est-ce enfin la rencontre et la relation d'amitié qu'elle entretient avec cette gadji, la cinéaste Karin Berger, qu'on peut considérer comme le catalyseur de son oeuvre et celle par qui elle a été révélée?
Animée comme Germains Tillion, par la conscience impérieuse de témoigner, Ceija Stojka en appelle à sa vie de nomade, heureuse et enfantine, puis aux souffrances et au désastre qui l'ont suivie. Elle en convoque la mémoire, l'écrit, la chante, la dessine et la peint sur du car ton ou sur des toiles. A l'âge de cinquante-cinq ans son grand lac artificiel de silence se met à déborder.
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Et si la réticence des membres des communautés tsiganes devant les commémorations traduisait le refus d'entrer dans la vision des bourreaux?
Ne pas faire de la "solution finale " un événement fondateur.
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