[le 17 octobre 1961 ]
En début de soirée, plus de trente mille Algériens quittèrent leurs bidonvilles* et leurs banlieues misérables, leurs chambres d'hôtels surpeuplées et leurs cafés tristes, puis, à pied, en métro, en train et en bus, ils convergèrent vers le centre de Paris. Les boutiquiers et les vendeuses allant au cinéma sur les Grands Boulevards, les hommes d'affaires bien habillés, les cadres supérieurs et les touristes prenant un verre dans les cafés de l'avenue de l'Opéra, les amoureux bien nourris en promenade le long de la Seine, tous regardèrent avec surprise et indignation les hordes de bicots* vomies par leurs ghettos et prenant possession des rues de la capitale. (p. 259)
Et puis le monde va découvrir un nouveau phénomène, avec moi et quelques autres qui vivent ici . Le Noir errant. (p. 194)
Et puis les préjugés des opprimés différaient beaucoup, moralement des préjugés de l'oppresseur. (p. 168)
Simeon se souvint qu'il n'avait jamais vu un Algérien avec une Française. On ne pouvait pas marcher dans une rue de la rive gauche sans croiser des couples mixtes, noir et blanc, mais les Noirs d'ici, africains, antillais ou américains, n'étaient pas des ouvriers ni en général des pauvres; C'étaient des étudiants, des artistes, des gens ayant un métier lucratif. des gens "respectables". (p. 121)
L'un des Brésiliens avait expliqué à Siméon que, en Amérique du Sud, lorsqu'un Indien ou un Noir devenait riche ou bien général, on le considérait officiellement comme blanc. C'était délirant. Le monde se réduisait à une pyramide où les peuples les plus riches et les plus puissants se trouvaient au sommet-Les Européens du Nord, les Anglais et, plus récemment, les Américains. Ils imposaient leur échelle dégressive au reste du monde. Ici, l'homme noir était inférieur; là c'était l'Arabe, là le Juif, là l'Asiatique- selon l'endroit où vous habitiez. Et les hommes qui devenaient riches et puissants à cause d'un accident de l'Histoire étaient ceux qui en décidaient.
(p. 125)
-Moi, je ne sais pas où je vais.
-Que ressens-tu en vivant ici, toi, un homme noir en pays blanc ?
-Je ressemble à un homme sans pays. Je ressemble à un juif errant. (p. 126)
- c'était quand j'étais jeune et indigné. Il faut croire à quelque chose pour s'indigner. (p. 51)
Il ricana, puis continua. «Alors, tu te sens comment à présent ? Tu te sens bien, hein ? Ici, en France, au pays de la liberté. Loin du mode de vie américain, n'est-ce pas? Tu peux aller où tu veux, faire ce que tu veux. C'est super. Je me rappelle comment c'était là-bas. Si un Blanc se bagarrait avec un Noir, le Blanc était forcément innocent et le Noir coupable. Point final. Je m'en souviens très bien. Ça te fait quoi, que les rôles soient inversés hein ? Ça te fait quoi d'être le blanc pour changer? "