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Critique de carolitne


Il ne voit presque plus, Simeon.
Depuis qu'il a perdu un oeil lors d'une agression à caractère raciste. Quand le noir complet a suivi l'éclair éblouissant, il a plongé dans les ténèbres. D'où il est ressorti grandi. Plus fort. Son oeil est un sacrifice, un don aux Dieux. Contre la force, le courage, l'audace. Un oeil pour être un homme.
Lui qui était un garçon noir dans l'Amérique des années 60, victime du racisme banalisé, de la ségrégation institutionnalisée.
Il a décidé de fuir la violence, il a choisi la paix. A Paris.
Alors il ouvre grand l'oeil, Simeon.
Il embrasse du regard les couleurs de la vie qui illuminent Paris en cette année 1961. Ici la vie s'écoule au rythme de la Seine, paisiblement, bercée au son des morceaux de jazz. La Ville Lumière éclaire ses ténèbres intérieures, enveloppant son être de douceur, de légèreté, de sécurité, d'égalité.

Des couleurs qui vont soudain ternir jusqu'à disparaître en un camaïeu de gris, quand les ombres voileront son regard, recouvriront son horizon. Lorsqu'il découvrira qu'ici, au pays de l'égalité, il y a aussi des « négros ».
Les Algériens.
Qui sont insultés, battus, méprisés, arrêtés.
Simeon, qui peine à voir, perçoit dans son âme que les Français ne se considèrent pas racistes, aveuglés par un sentiment de supériorité qui justifie à leurs yeux les discriminations à l'égard du peuple algérien, éblouis par la guerre d'Algérie qui légitime selon eux les violences faites à la population algérienne.
Qu'ils ferment les yeux.
Siméon, lui, est un homme. Qui a sacrifié un oeil pour regarder la vérité en face. Il ne baissera pas les yeux face au traitement infligé à la communauté algérienne qui conduira au massacre du 17 octobre 1961. Il affrontera du regard la persécution vécue par ses compagnons d'injustice.
Si sa vue lui fait défaut, son coeur est clairvoyant qui comprend que la vie lui est douce à Paris car il est considéré comme un homme blanc. Qu'ici, d'autres minorités sont opprimés, par les populations mêmes qui sont victimes ailleurs.
Son âme perçoit que tous sont opprimés et oppresseurs.
Que tous sont aveuglés par leurs propres rancoeurs et leur haine, ne voyant le monde qu'en noir et blanc, dans un manichéisme étouffant toute nuance.
Que chacun porte le visage de pierre des âmes pétrifiées par la peur de l'autre.

« le visage de pierre » offre le point de vue objectif d'un narrateur afro-américain étranger à notre Histoire sur un événement indigne de notre récit national. L'auteur et double de son narrateur, William Gardner Smith, focalise le regard du lecteur sur un pan honteux de notre passé, duquel nombreux sont ceux à avoir détourné les yeux.
Le dépouillement du style accentue l'innocence du narrateur, renforçant par la même l'absurdité des discriminations, l'indignité de la condition réservée à la population algérienne.
Loin d'être simpliste, l'écriture pèse chaque mot, questionnant son pouvoir du mot dans l'évocation d'une réalité, pas toujours assumée. Un mot n'étant jamais juste un mot, qui condense un système de pensée, une vision du monde, une hiérarchie de valeurs. Un mot n'étant jamais à fuir, toujours à questionner.
Pour ne pas fermer les yeux.
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