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Critique de Levant


Levant
02 décembre 2016
"Quand je me heurte à quelque chose que je ne puis changer, …, je l'élimine. Je l'évacue dans un livre." Et s'il est bien une chose qui ne changera pas, c'est "la plus grande force spirituelle de tous les temps : la bêtise". Car pour Romain Gary, le racisme c'est de la bêtise, affirme-t-il par euphémisme, et "la bêtise, c'est grand, c'est sacré, c'est notre mère à tous".

Son ouvrage, Chien Blanc, est un cri d'une colère à peine voilé, une colère bien pesée, une colère froide, contre cette bêtise.

Romain Gary nous a habitués à des ouvrages auto biographiques. Celui-ci est très personnel, très intime. Après sa mère dans La Promesse de l'aube, il y implique une autre femme de sa vie, Jean Seberg, son épouse. On y découvre leur convergence de point de vue contre la discrimination, à la fin des années soixante aux Etats-Unis, même s'ils ne partagent pas les moyens de se faire entendre. Martin Luther King vient d'être assassiné, le pays est à feu et à sang dans les luttes raciales que cet événement a suscitées.

Chien blanc est un berger allemand qui a trouvé refuge chez Romain Gary, en son domicile familial de Los Angeles. Particulièrement affectueux avec les Blancs, il est féroce avec les Noirs. Il a été dressé pour l'attaque de ces derniers. Quand tout le monde préconise de faire euthanasier cet animal tordu, irrécupérable, contre vents et marées, Romain et Jean se refusent à s'y résoudre. Ils s'accordent sur l'espoir de prouver que les tares peuvent être corrigées, même les plus détestables. Rien n'est irrémédiable chez qui n'est pas responsable de son état.
Avec ce subterfuge de l'animal dressé pour tuer, Romain Gary choisit de développer le thème de l'innocence pervertie. Frappé d'impuissance devant un contexte qui le bouleverse, il manifeste son aversion pour la bassesse des comportements humains. À cette fin il façonne un ouvrage très personnel dans sa forme narrative. La sensibilité à fleur de peau, il interpelle son lecteur, vient cueillir son oreille attentive en créant une forme de huis clos pour condamner le crime : le racisme. Mais pas son auteur. Il conserve en effet en l'homme tout sa confiance, car "il est moins important de laisser pendant des siècles encore des bêtes haineuses venir s'abreuver à vos dépens à cette source sacrée que de la voir tarie". L'homme n'est que le jouet d'un grand tout qui porte si mal son nom : la civilisation.

Le racisme est une chose. Son exploitation en est une autre. En avocat de tout ce qui vit et croît sur terre, Romain Gary ressent une grande solitude dans son combat. "Minoritaire-né", il ne prend partie ni pour ou contre l'un ou l'autre. Il ne cache en revanche pas son antipathie pour tous ceux qui font commerce de la compassion, s'auto proclament bon samaritains, au premier rang desquels se précipitent tout ce que le show-biz comporte de vedettes en vue. Époux de Jean Seberg alors au sommet de sa gloire, il est bien placé pour observer ce monde qui s'auréole de sainteté. Il ne se trompe pas sur les intentions réelles de ces « égomaniaques » régentés par leur narcissisme. La hantise de l'homme de spectacle, c'est la salle vide.

Mais là où le discours de Romain Gary sonne juste c'est quand il affirme que ni couleur, ni condition, ni statut ne sauraient être motif d'indulgence. Lui ne reconnaît de grâce que dans l'amour de son prochain. Ou en tout cas dans l'absence de haine. Et il n'a pas besoin d'un dieu pour se faire dicter cette conduite.

Pourtant sa "colère ne vise personne", même si elle écorne l'un ou l'autre au passage qu'il ne se prive pas de citer : Marlon Brando, "éternel enfant gâté" qui fait de la charité un business, Hemingway, "créateur d'un mythe ridicule et dangereux : celui de l'arme à feu et de la beauté virile de l'acte de tuer", Barbara Streisand, et d'autres encore, membres d'une société du paraître. Avec leur discours de générosité pré fabriqué, ils imaginent s'absoudre de leur culpabilité de participer à construire cette "société de provocation" en donnant des leçons de philanthropie. Les choses n'ont pas vraiment changé.
Selon Javier Cercas, "la littérature est une défense contre les offenses de la vie". C'est à n'en pas douter ce qui anime Romain Gary lorsqu'il écrit Chien Blanc. Cet écorché vif nous invite une fois de plus à ses humanités, au spectacle d'une civilisation qui n'a de cesse de cultiver les inégalités. Mais, avec la même constance, il se garde bien de juger. Point de condamnation à l'égard de celui dont "l'intelligence est au service d'une aberration congénitale qui s'ignore". de ces humanités on ne se lasse pas. On en connaît la sincérité, le désintéressement.

Persuadé qu'il était de me savoir lire son ouvrage en des temps qui lui survivraient, il prend la précaution de me mettre en garde : "Rien de plus aberrant que de vouloir juger le passé avec les yeux d'aujourd'hui". Il est vrai que lorsque je regarde autour de moi, je sens bien que de ces concepts vertueux gravés sur le fronton de nos édifices publics on n'a retenu que le premier : la liberté. Les choses n'ont pas beaucoup évolué depuis que Romain Gary nous a livré sa colère dans Chien blanc.
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