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Critique de gerardmuller


Les Enchanteurs : Romain Gary
Fosco Zaga, au crépuscule de sa très longue vie, raconte sa jeunesse, ses joies , ses amours, ses ancêtres vénitiens partis vers la Russie sous le règne de la Grande Catherine, son père Giuseppe y exerçant alors ses talents de magnétiseur, alchimiste, astrologue et guérisseur. Et puis la moqueuse et espiègle Teresina, très jeune épouse de son père âgé de soixante ans alors qu'elle n'a que seize ans va tourner la tête de Fosco tout juste âgé de douze ans et demi, fou amoureux d'elle.
Un roman étrange, totalement baroque évoquant trois générations de Zaga, du grand père Renato au père Giuseppe, puis Fosco le fils et ses deux frères et sa soeur.
Fosco connaît ses premiers émois durant les cours de calligraphie que lui dispense son précepteur, car l'eau lui vient à la bouche devant une voyelle bien roulée pour se trouver brusquement plongé dans un état congestif très explicitement localisé, ce qui l'emplit d'un sentiment de honte coupable envers l'alphabet.
Puis ce sont les effleurements au contact de Teresina, la caresse des cheveux roux de la vénitienne sur les lèvres de Fosco, le baiser innocent de Teresa, insoumise et fantasque, capable de tous les coups de tête, qui met fin à l'innocence de Fosco et marque à jamais le commencement d'une quête qui n'aura plus de cesse. Fosco qui comprend que le sentiment du péché, pour qui savait s'en servir habilement, est un condiment dont la volupté est fort friande. Ses sens éveillés ne connaissent pas la retenue que dicte une pudeur légitime et sur le plan de la vertu, il est un pur analphabète qui ne sait point lire les canons de la bienséance sexuelle, retenue et chasse aux mauvaises pensées que lui enseigne la bonne religion.
Usant fort à propos de la métaphore, l'auteur nous propose des scènes de la plus haute fantaisie notamment lorsque Fosco en bon voyeur guette Teresina dans son isba alors qu'elle prend son bain de vapeur.
Alors que Giuseppe au cours d'une relation avec Teresina ne parvient à ses fins pour la transporter en Empyrée, croyant à une malédiction de la nature, « il avait vite compris qu'il ne se heurtait pas à une barrière inconsciente et involontaire, mais à un refus délibéré et farouche. Lorsque, au cours d'une étreinte, il jetait un regard le visage de sa jeune épouse, guettant un de ces frémissements précurseurs qui annoncent la réalisation imminente de l'oeuvre heureuse et donnent à l'amant la tendre permission de s'accomplir, il n'y découvrait que l'hostilité, les pupilles dilatées et fixes, les traits figés et les dents serrées dans l'effort du refus, un « non » obstiné que Teresina opposait à elle-même, refoulant la volupté afin de goûter une joie vengeresse. » Giuseppe devra se contenter désormais d'être l'enchanteur public, mais pas celui de Teresina. Homme de goût et héritier d'un nom illustre, il n'a de cesse d'affirmer face à la concurrence que la petitesse du talent se reconnaît à la grosseur des ficelles.
Tout au long de la longue vie de Fosco, on croise une foule de personnages tous plus bizarres les uns que les autres, beaucoup ayant réellement existé et d'autres qui sont sans doute le fruit de la fertile et débordante imagination de l'auteur. le temps d'une valse dans les bras de Teresina au bal du comte Pouchkine et l'on retrouve la révolte des Cosaques et des paysans russes (1773-1775) menés par Pougatchev. Puis on croise Potemkine, militaire et homme de gouvernement russe, bel homme séduisant et intelligent qui devint l'amant et le favori de la Grande Catherine.
L'illusionniste de la cour va connaître la désillusion et la disgrâce et songer à repartir sur les routes tel un saltimbanque vénitien qu'il a toujours été avec tous ses souvenirs en guise de viatique. Mais rester toujours maître des illusions auprès de Teresina à tout jamais.
« Les souvenirs, c'est une chanson que l'on chante quand on n'a plus de voix…Je ne vieillirai jamais ; c'est très facile, il suffit de l'encre, du papier, d'une plume et d'un coeur de saltimbanque. »
Ce roman inclassable publié en 1973 est une histoire d'amour avant tout, un amour immortel, mais aussi une épopée à travers les forêts russes propices à la rêverie et aux égarements de l'imagination.

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