Les trésors de la mer Rouge

Je me souviens d'une phrase d'une amie, dans les années 1990, à propos de son fils qui revenait de Djibouti où il avait effectué son service militaire : «je ne sais pas ce qu'il a vu là-bas, mais ça l'a profondément marqué et il ne veut pas en parler…». En lisant ce livre, j'ai peut-être un début d'explication. Car ce que raconte Romain Gary, c'est une violence quotidienne où grandeur et décadence, abnégation et lâcheté, fraternité et sadisme, etc.. se côtoient, portés au paroxysme dans des paysages d'enfer («cette nature est un acte contre nature, on ne vit pas, on survit»). Ce sont des personnages hors du commun que nous fait rencontrer l'auteur, des fantômes du passé échoués dans ce pays où le soleil «n'éclaire que le regret et le remords».

Puis il quitte le territoire des Afars er Issas, «étendues noires où tout a brûlé, sauf la peine des hommes» et passe de l'autre côté de la Mer Rouge, au Yemen, «berceau du peuple arabe», à la recherche d'une fillette au «plus beau visage de la Bible» et au «regard de Ruth, de Messaline ou de la reine de Saba venant à vous du fond des âges». De Sanaa, «mélange de Venise et de Babylone» et ses alentours où ‘'le paysage accomplit ce miracle : une dureté douce, une sauvagerie accueillante» à l'oasis de Sherba et à Taïz, il va faire des rencontres surréalistes, se déplaçant à moto ou à dos de chameau à travers le désert («ce désert-là est une sorte de démence frappée d'immobilité»). Sa quête dans ce pays aux «durs guerriers» et à «la virilité sans féminité» prend fin lorsqu'il rencontre cette fillette dans le regard de laquelle il voit «toute l'histoire de l'Arabie, tout ce qui demeure vivant et invincible, là où la mort et le temps croient avoir fait leur oeuvre d'oubli.»

Dans une langue magnifique et poétique, Romain Gary rapporte ses rencontres avec l'Islam et avec l'Histoire et décrit la fin d'un monde… Dépaysement garanti pour le lecteur