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Critique de Ingannmic


Aleksandar Gatalica utilise dans son roman un procédé déstabilisant voire un peu agaçant dans un premier temps, consistant en la succession d'anecdotes mettant en scène des personnages différents, souvent sans lien les uns avec les autres, et dont nous ne connaîtrons certains que brièvement, l'auteur les "tuant" au bout de quelques pages. le lecteur, un peu perdu car privé de la possibilité de se rattacher à quelque repère, se sent pris dans une sarabande frénétique, craignant de se lasser rapidement de ce coq-à-l'âne... On comprend rapidement que ce "balayage" répond à une volonté d'offrir à la fois une vue d'ensemble et une approche exhaustive, à partir de ceux qui l'ont vécue, du premier conflit mondial, dont le déroulement sert de fil rouge.

On voyage en effet de la France à la Turquie en passant par la Serbie, la Russie, ou l'Autriche, on parcourt le front et ses tranchées, les étendues sous-marines, les villes sous occupation, en compagnie d'héroïques anonymes comme de salauds célèbres -ou le contraire-, de rois et d'artistes, de soldats et de médecins, de commerçants et de prostituées, d'escrocs profitant des circonstances pour s'enrichir... la relation d'épisodes révélateurs du quotidien des "petites gens" -la faim qui pousse, sur le front, à se nourrir de l'écorce des arbres, les amitiés qui se nouent, l'omniprésence de la mort et des maladies- se mêle à celle d'un contexte historique foisonnant, que l'on appréhende aussi souvent par l'intermédiaire de ses protagonistes, illustres ou non. Ainsi du massacre arménien ou de la neutralité hellène, de la révolution russe ou du drame serbe, seul peuple qui dans la Grande guerre a perdu sa patrie...

Mais attention, Aleksandar Gatalica ne se contente pas de relater des faits historiques, ou de mettre en scène des personnages célèbres. Il se les approprie, les réinvente, les dote d'une dimension souvent burlesque en accentuant leurs travers, ou les particularités qui ont fait leur réputation... On croise ainsi au détour d'une rue de Paris Jean Cocteau qui fabrique avec la complicité de Kiki de Montparnasse des boîtes de conserve de luxe pour son propre usage, on lit par-dessus l'épaule d'Apollinaire sa correspondance cochonne avec l'une de ses maîtresses, on accompagne dans le cockpit de son zeppelin un artiste allemand raté, davantage préoccupé par la destruction de Picasso que par celle des objectifs ennemis...

Et j'en passe, car il est impossible -et inutile- d'essayer de rendre précisément compte de la profusion du roman d'Aleksandar Gatalica, qui peu à peu dessine une grande fresque, une toile constituée de l'assemblage de tous ces événements et de ces individualités, petits ou grands, qui le peuplent et l'animent. En traquant, au coeur de la barbarie, ces bribes d'existence, il rend aux morts leurs visages, leurs individualités, les extirpe de la multitude anonyme des victimes du conflit qui a, pour la première fois, industrialisé la tuerie guerrière. Il exprime le beau et le laid, la mesquinerie et l'abnégation, la folie de la guerre, aussi, qui pervertit les âmes.

Pour autant "A la guerre comme à la guerre !" est un récit très vivant, et pas seulement grâce au rythme trépidant de son intrigue hyperactive... le ton employé par l'auteur y est aussi pour beaucoup. A la fois familier et tendre envers ses personnages, il déploie un humour cocasse qui, en désacralisant ceux dont L Histoire a retenu les noms, place tous ses protagonistes au même niveau, comme pour exprimer le nivellement imposé par la mort, insoucieuse des frontières, des classes sociales, ou des mérites de chacun. Par ailleurs, il émaille son récit de touches de surnaturel -apparitions fantomatiques, visions fugitives de mondes parallèles, rêves prémonitoires, créatures monstrueuses vivant au fond des mers- qui renforcent encore la dimension loufoque de son intrigue, et, de manière surprenante, apportent à son contexte sanglant et douloureux une note de poésie.

Finalement une très belle découverte, donc !

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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