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Critique de Pasoa


C'est avec " Comme battements d'ailes " que je découvre Armand Gatti et sa poésie, une anthologie d'une oeuvre dense, qui couvre une période de plusieurs décennies d'écriture.
Armand Gatti était issu d'un milieu très modeste, originaire d'Italie. Toute sa vie durant et jusqu'à sa disparition survenue en avril 2017, Armand Gatti resta un esprit libre, anarchiste et utopiste, c'était aussi un altruiste. Il était naturellement tourné vers les autres, vers les gens modestes, les exclus, les prisonniers, les malades, les jeunes délinquants qu'il surnommait affectueusement les « loulous ».

S'il fut tour à tour journaliste, écrivain et réalisateur, scénariste, Armand Gatti était avant tout un homme de théâtre. En plus du travail de metteur en scène, il fut l'auteur de plusieurs pièces qui eurent dans les années 1960-70 un certain retentissement. C'est plus tard qu'il arriva à la poésie.

Même à l'heure du recul des utopies, de la perte des idéaux, Gatti a toujours cru à l'engagement, à la lutte. Il ne fut pas l'homme des imprécations militantes, des mots d'ordre contre une société jugée injuste, mais un ardent défenseur de la langue, de son pouvoir d'imaginaire et d'action. D'où sa passion pour le théâtre… et la poésie.

" Donner aux hommes
et à leurs images
leur seule dimension habitable :
la démesure. " *

Cette démesure, on la trouve partout dans l'écriture d'Armand Gatti, dans ses mouvements, ses contrepoints, ses réflexions en allers et retours,… Dans le témoignage qu'il livre aussi de ses aventures personnelles ou collectives, de son enfance, de son engagement dans la Résistance, de ses nombreux voyages à l'étranger, de son activité de journaliste qui lui valut le Prix Albert Londres, de ses activités auprès des plus défavorisés, etc.

Dans cette écriture en marge, hors de toute référence littéraire, Gatti fait remonter la démesure de la vie, le destin des hommes et des femmes oubliés, auxquels il joint sa colère, son incompréhension, mais aussi son attachement au bonheur simple, à une certaine nostalgie.

Les textes présents dans le recueil sont de forme assez libre. Leur vraie originalité réside dans la manière qu'a Armand Gatti de traiter de leur thème. L'enfance, la figure du grand-père, l'univers concentrationnaire, le monde prolétaire, le théâtre, le cinéma,…
Plus que la forme et le traitement concis du poème, Gatti donne à ses textes tantôt la forme du récit, tantôt celui du dialogue ou de la simple anecdote.

Le plus singulier dans l'écriture d'Armand Gatti est qu'il emprunte aux registres du cinéma (comme une prise de vue), au théâtre (la mise en scène) ou encore à la peinture (les couleurs) pour agencer ses poèmes.
Ainsi " Les Docks " publiés en 1990, recueil dédié à son grand-père Sauveur Lusona (originaire du Piémont venu travailler en France où il exerça le métier de maçon) :

" Palette:
rouge anglais, ocre rouge, vermillon, grenat, rouge Bruegel, noir de mars.

Lequel des deux soleils est rouge? Lequel est noir ?
Le rouge n'est nulle part, pourtant il pèse sur toute
l'étendue du ciel, comme un noir.
(La truelle pleine de ciment est tombée sur la
barre de garde d'en dessous. le maître-maçon
promet au Piémontais un jour de mise à pied.
Sans obtenir de réponse. Tu essayes de rattra-
per quelque chose dans le vide. Personne ne
voit que le ciel est devenu noir d'un seul coup.
Mais les docks sont rouges. La mer est rouge.
Passage. C'est la chute. Au pied de l'échafau-
dage. le noir du ciel s'abat sur tout.)

Les substances se rassasient de lumière,
les corps chimiques digèrent la lumière,
l'eau absorbe la lumière,
la mer veut devenir la lumière elle-même.
Mourir de lumière,
Mourir dans la lumière
et toi, dans cette lumière, te voilà papillon consumé
dans tes habits de Prolétaire. " **

Il y a dans la poésie d'Armand Gatti quelque chose de profondément attachant. On déambule entre gravité et douceur, on avance dans une poésie belle et insatiable comme l'espoir. On s'y perd parfois mais l'essentiel n'est jamais très loin. La poésie nous redonne notre part d'utopie, de démesure, qui va de l'enfance jusqu'à nous. C'est là que se loge toute l'écriture d'Amarnd Gatti.



(*) extrait de la Première lettre (1978) – p. 87
(**) « Dix-sept heures quinze » pp. 150-151
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