La réalisatrice et reporter Manon Loizeau, prix Albert Londres pour "La Malédiction de naître fille" (réalisé avec Alexis Marant, 2006), signe le documentaire "La Vie devant elle", qui donne à entendre la voix d'une jeune Afghane, Elaha, aux côtés de sa famille.
Un film polyphonique mêlant les images captées par Elaha elle-même, qui s'est mise à filmer dès son arrivée au camp de Moria, en Grèce, et celles prises par Manon Loizeau et son équipe. La chanteuse, compositrice et interprète Emily Loizeau signe la BO du film, inspirée par la voix même d'Elaha.
#culture #documentaire #exiles
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— La dernière nuit, la septième, ce fut le déluge et le cyclone. Eau dessus et eau dessous. Sans être chrétiens, nous avons fait plusieurs fois le signe de croix.
Les onze hommes à ce moment me regardèrent comme pour me dire : mais oui.
— La barque volait sur la mer comme un pélican. Au matin, on vit la terre. On se jeta dessus. Des Noirs étaient tout près.
Venezuala ou Trinidad ? crions-nous. — Trinidad.
C'était raté. Nous voulûmes repousser le canot, mais sur ces côtes les rouleaux sont terribles. Après huit jours de lutte, nous n'en avons pas eu la force. Le reste n'a pas duré cinq minutes. Des policemen fondirent sur nous. Dans Trinidad, Monsieur, il n'y a que des policiers et des voleurs. Un grand Noir frappa sur l'épaule du rouquin et dit : « Au nom du roi, je vous arrête ! » Il n'avait même pas le bâton du roi, ce macaque-là ! mais un morceau de canne à sucre à la main. Ces Noirs touchent trois dollars par forçat qu'ils ramènent. Vendre la liberté de onze hommes pour trente-trois dollars, on ne peut voir cela que dans ce pays de pouilleux.
Vers la Guyane.
Ce n'est pas d'une institution que vient le mal ; il vient de plus profond : de l'éternelle méchanceté de l'âme humaine.

Onze forçats étaient là, durement secoués par ce mélange de roulis et de tangage baptisé casserole.
— Eh bien, leur dis-je, pas de veine !
— On recommencera !
Sur les onze, deux seulement présentaient des signes extérieurs d'intelligence. Les autres, quoique maigres, semblaient de lourds abrutis. Trois d'entre eux ayant découvert un morceau de graisse de bœuf s'en frottaient leurs pieds affreux, répétant : « Ah ! ces vaches d'araignées-crabes ! » Mais tous réveillaient en vous le sentiment de la pitié.
On aurait voulu qu'ils eussent réussi.
— D'où venez-vous ? De Cayenne ?
— Mais non ! de Marienbourg, en Guyane hollandaise.
Nous nous étions évadés du bagne depuis dix-huit mois. On travaillait chez les Hollandais. On gagnait bien sa vie…
— Alors pourquoi avez-vous pris la mer ?
— Parce que le travail allait cesser et que les Hollandais nous auraient renvoyés à Saint-Laurent. Tant que les Hollandais ont besoin de nous, tout va bien. Ils nous gardent. Ils viennent même nous " débaucher " du bagne quand ils créent de nouvelles usines, nous envoyant des canots pour traverser le Maroni, nous donnant des florins d'avance. C'est qu'ils trouvent chez nous des ouvriers spécialistes et ce n'est pas les nègres qui peuvent faire marcher leurs machines.
Mais, depuis quelques années, ils ne sont plus chics. Dès qu'ils ne peuvent plus se servir de l'homme, ils le livrent. C'est la faute de quelques-uns d'entre nous, qui ont assassiné chez eux, à Paramaribo. Les bons payent pour les mauvais.
Vers la Guyane.
Il faut dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu'un – de notre connaissance parfois – est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. Le bagne n'est plus à Cayenne, mais à Saint-Laurent-du-Maroni d'abord et aux îles du Salut ensuite. Je demande, en passant, que l'on débaptise ces îles. Ce n'est pas le salut, là-bas, mais le châtiment. La loi nous permet de couper la tête des assassins, non de nous la payer. Cayenne est bien cependant la capitale du bagne.
Je demeure convaincu qu'un journaliste n'est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de rose. Notre métier n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie.
Dans le même voyage, l'homme de terre et l'homme de mer ont deux buts différents. Le but du premier est d'arriver, le but du deuxième est de repartir. La terre nous tire vers le passé, la mer les poussent vers le futur.
Une valise, on dirait que c’est la liberté qu’on a dans la main.
Or, ces temps, par ces nuits et ces jours de froid, de pluie, de tonnerre et de mort, il faudrait être bien magnifique pour ne pas sentir pleurer en soi.
Quand un soldat pleure, la vérité n'est pas de le consoler, c'est de le réveiller de ses larmes.
Emile Vandervelde, citoyen et ministre, est venu sonner du clairon.
Il a rallié la pensée.
Le Matin, 29 novembre 1914
Un sourire est une fleur rare aux îles du Salut !
– Il s’est évadé de Royale, reprit le commandant, c’est là l’un des plus beaux exploits du bagne. Quatre-vingt-quinze chances de laisser ses membres aux requins. Comment vous a-t-on repris sur la grande terre ?
– Épuisé, commandant.
– Il a même repêché un gardien, une fois ! N’est-ce pas ?
Dieudonné esquissa un geste du bras.
– Voyons, dis-je au commandant, le cas Dieudonné est troublant. Beaucoup de gens croient à son innocence.
– Du fond de ma conscience, je suis innocent, fit Dieudonné.
Là-dessus, l’on referma l’enterré vivant dans son tombeau.
La chose n'est pas complètement fausse. En effet, quand une personne tombe malade de la mystérieuse maladie, si cette personne n'a pas le sou, elle est folle. Possède-t-elle un honnête avoir ? C'est une malade. Mais si elle a de quoi s'offrir le sanatorium, ce n'est plus qu'une anxieuse. (p. 14)