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Critique de si-bemol


« le vent s'est levé à l'autre bout du monde et celle qui arrive est une sacrée chienne qui fera tinter nos os de nègres… »

Ils sont une poignée de personnages, une poignée de femmes et d'hommes, de petites gens, des anonymes, chacun en proie à ses démons, à sa solitude, à ses désastres intimes… Une poignée de personnages dont le récit entremêle les voix dans un vaste lamento d'angoisse, d'attente, de colère et de terreur. Car la voilà qui arrive, la chienne, celle qui s'annonce par un souffle dément, celle qui bientôt déferle – aveugle et sourde, aveuglante et assourdissante - celle qui, en quelques heures, fera de la Nouvelle Orléans une terre de saccage et de larmes, un désastre total et le terrain ravagé du jeu macabre de la mort. « La nature n'est plus à l'échelle humaine » et - comme le prophétise Josephine Linc. Stedson, « négresse depuis presque cent ans » - « nous allons tout perdre. Nous allons nous accrocher à nos pauvres vies comme des insectes à la branche mais nous serons dans la vérité nue du monde. »

Parmi les habitants, il y a ceux – quelques-uns – qui pourront fuir, qui en ont les moyens et la possibilité. Et puis il y a les autres, démunis, épuisés et par avance vaincus comme ils l'ont toujours été, car « la tempête approche et elle sera pour eux, comme toujours, les miséreux aux vies usées et pour eux seuls. » A l'approche de l'ouragan, chacun s'affaire – ou pas – à sa sauvegarde et à sa fuite, entre sauve-qui-peut, entraide et chacun pour soi. Les autorités bafouillent, l'évacuation est hasardeuse, les cohortes de fuyards s'agglutinent sur les routes, les détenus sont oubliés, les plus pauvres aussi. Enfermés dans les cellules de la prison, tapis dans l'abri précaire de leurs maisons ou réfugiés dans l'église sous la protection du Seigneur, terrorisés ou résignés tous attendent le désastre qui s'annonce… Tous le subiront de plein fouet, entêtés à survivre, confrontés à eux-mêmes, à leurs émotions et à leurs vies, repliés sur leurs peurs, leurs échecs et leurs désirs, sur leur fierté aussi et leur courage, sur leur folie, dans le ventre inhospitalier de l'ouragan qui passe et les emporte. "La beauté du monde est souillée et les fous jubilent."

Avec « Ouragan », Laurent Gaudé raconte – sans le nommer - l'ouragan Katrina de 2005 et nous entraîne dans un récit apocalyptique époustouflant, une thématique qu'il reprendra cinq ans plus tard avec « Danser les ombres » à l'occasion du tremblement de terre en Haïti. Les personnages sont bouleversants dans leur fragile sincérité, l'écriture est magnifique, et dans la poésie des phrases de Gaudé soufflent en un grand vent de catastrophe la vocifération de la nature déchaînée et le tumulte des eaux qui balayent de leur toute-puissance souveraine et indifférente la plainte frêle des hommes, et leur espérance. Il leur faudra se relever, trouver la force de marcher vers demain malgré la folie et la mort, malgré la fatigue et la misère, malgré leurs vérités terribles et nues. "Rien n'a changé. Des nègres sans rien, qui lèvent les yeux au ciel pour implorer la pitié, c'est toujours ainsi que souffre le monde."

Un roman impressionnant et très beau, que j'ai beaucoup aimé.

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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