– Maître, je n’y arrive pas.
– Vous n’arrivez pas à quoi, Aaron ?
– À me détacher de votre œuvre. Ni de n’importe quelle autre en fait. Tant que je suis en train de copier, tout semble facile, même les exigences techniques les plus absconses. Mais dès que je tente de m’écarter de l’œuvre originale et peindre pour moi-même, c’est comme si tout mon être s’y refusait. Je finis toujours malgré moi par reproduire le tableau à l’identique.
– Créer ou copier ? Peindre pour soi ou pour un client ? De mon temps la question ne se posait même pas. Aucun artiste de qualité n’aurait dépensé des fortunes en pigments par simple vanité. Toute œuvre avait un client, un mécène. J’avais de la chance, mon protecteur était puissant. Philippe quatrième du nom, roi entre autres d’Espagne et du Portugal. Mais je crois qu’à votre époque chacun peut peindre pour soi, n’est-il pas ?
– Si je peux me permettre, chère Gretel, susurra Denis Moutiers, je vous conseille de vous y rendre accompagnée d’un expert. Cela renforcera l’authenticité de tout ce que vous pourriez découvrir là-bas, et accélérera la reconnaissance des œuvres. J’ai l’impression que vous êtes sur un filon. Faites des experts vos alliés en les associant à la découverte, sinon ils vous détruiront.
– C’est donc la guerre à couteaux tirés sur le marché de l’art, mon cher Denis ?
– Si vous saviez, mon bon Charles. Il faut gérer l’ego des artistes, l’orgueil des experts, l’arrogance des salles de ventes… Un vrai panier de crabes !
– Délicieux, le crabe ! intervint soudain Marie-Thérèse. Mon cher Denis, finissez donc ces beignets, je fais apporter la paella.