Il ne s’agissait pas de mathématiques constructives mais d’élucubrations fantaisistes qui s’enchevêtraient peu à peu pour hanter mon sommeil et me couper de la réalité. Les psychiatres ne connaissaient pas de remède, le seul exutoire était de faire du sport, des séances de gymnastique pendant lesquelles je pouvais lâcher la bride à mes démons sans mettre en danger l’équilibre précaire de ma santé mentale.
Il fallait pourtant que je sorte de ma léthargie. J’avais des exercices physiques à faire. Ce qui n’était pour la plupart des gens qu’une récréation revêtait pour moi un caractère d’obligation. Je devais à tout prix me défouler car c’était le seul moyen efficace pour évacuer les vagues de cauchemars numériques que mon esprit torturé soulevait autour de moi. Ce dérèglement était la contrepartie de mon aptitude hors norme pour les mathématiques. Les nombres m’étaient familiers au point que, si je leur laissais libre cours, toute chose finissait par ne plus apparaître que sous une forme algébrique.
Ces ouvrages perdus ou disparus lui ont confirmé ce que vous savez désormais, à savoir que les nombres possèdent un pouvoir qui dépasse ce que la raison est capable de comprendre. Albert affirmait que la combinaison de certaines propriétés peut conférer à certains nombres une signification qui va bien au-delà des mathématiques.
Il les comparait à des noms qui, s'ils sont invoqués dans un rituel de kabbale, peuvent permettre d'invoquer l'entité qu'ils désignent, au même titre qu'une puissante formule magique . C'est pour cela que les principes d'invocation par la kabbale sont régis par les lois mathématiques. Ce sont ces lois qu'a redécouvertes Newton mais les Apôtres ont fait d'immenses progrès depuis cette époque.
Ce qui paraît le fruit du hasard est parfois la meilleure façon de dissimuler un secret.
Le principal divertissement auquel nous nous livrions consistait à tenter d’accomplir les sortilèges décrits dans de vieux livres achetés aux bouquinistes de Cambridge, de Londres ou même de Paris. Il fallait de la patience, les préparatifs pouvaient durer plusieurs mois et, quand arrivait le moment de mettre en œuvre le rituel, il ne fallait pas se défiler. La peur nous prenait à la gorge. En général, les résultats n’étaient pas à la hauteur de ce que nous espérions. Nous nous en tirions avec une frousse à pisser dans notre froc, rien de bien grave sauf que l’échec n’a pas toujours été au rendez-vous. Il s’est produit plusieurs fois des manifestations qu’un esprit rationnel refuserait d’admettre, je peux vous dire que ce genre d’expériences vous glace le sang d’une terreur qui ne s’évanouit pas en une semaine mais qui s’installe dans vos rêves de gosse pour hanter votre vie d’adulte.
Il a été victime d’une mort subite, c’est le genre d’accident que peut déclencher une émotion trop violente. Et l’émotion la plus violente est la peur.
Heureusement, la vérité ne se limite pas à la perception rationnelle qu’ont les scientifiques.
S’il n’avait pas cru à la possibilité d’agir à travers le vide, une idée de nature profondément mystique, Newton n’aurait jamais formulé sa théorie de la gravitation. En marge de ses travaux célèbres en mathématiques et physique, il se consacrait à l’alchimie et à la magie. On dit qu’il était à la recherche de l’âme qui anime la matière. Il n’était pas le seul à la chercher. Sous un nom ou sous un autre, cette quête était aussi celle des grands alchimistes italiens Marsile Ficin et Paracelse. Newton était un adepte, il connaissait parfaitement les travaux de Pic de la Mirandole, Agrippa, Guillaume Postel et des autres grands initiés. Il a d’ailleurs lui-même traduit La Table d’Émeraude, l’un des textes fondateurs de l’alchimie auquel on prête des liens avec la kabbale et l’arbre des sefirot.
Les équations et leurs solutions composaient un monde en lui-même, un monde familier dans lequel je vivais reclus, à la recherche d’orchidées jamais inventoriées par nul autre que mon maître.
Les énigmes les plus difficiles auxquelles l’humanité se soit jamais confrontée concernent les nombres et en particulier les nombres premiers. Le fait que tous ces problèmes puissent se ramener à la résolution d’une simple équation était une avancée remarquable.
— Le sens de tout cela, c’est qu’il suffit de savoir résoudre les équations diophantiennes pour avoir à portée l’ensemble des résultats les plus ardus. Mais il n’y a pas de miracle, car la contrepartie de ce principe est justement l’inexistence de méthodes de résolution efficace. Ce genre d’équations ne peut être résolu qu’au coup par coup.