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Critique de Antyryia



Parfois, il n'y a rien à faire, on est en panne d'inspiration.
J'ignore quelle est la meilleure façon d'évoquer ma lecture de Cavalier seul, le roman de Fred et Nat Gevart.
Parfois les idées s'imposent et coulent de source, et parfois on se demande à l'inverse ce qu'on va bien pouvoir raconter.
Je vais sortir m'aérer un peu en espérant que les idées viennent progressivement.
Mais pas n'importe quelle sortie : Un petit footing. Ca fait trop longtemps que j'ai arrêté.
Je prépare mon parcours, j'enfile mes baskets, un t-shirt, un short, ma montre GPS / cardiofréquencemètre.
Je m'échauffe pendant quelques minutes, je m'étire, et je suis parti !
Je fais bien attention à en garder sous la semelle en commençant doucement.

Avant tout, il faudra que j'insiste sur le trail. Sport pratiqué par les deux auteurs, ils ont choisi de parler de leur passion par le biais d'un roman, avec une bonne dose de mystère en plus pour faire bonne mesure.
Dans mon esprit, un trail c'était une course à pieds particulièrement longue. Comme le Tor des géants, qui est d'ailleurs mentionné dans le livre. Il se déroule dans la vallée d'Aoste, en Italie, et sa distance est de ... 330 kilomètres.
Ca me donne envie de manger du jambon rien que d'en parler.
Avec vingt-cinq cols à franchir, les marathoniens peuvent aller se rhabiller et les coureurs du Tour de France mettre leur vélo au placard.
"Une succession de bosses. Des montées et des descentes sur des kilomètres."
La plupart des épreuves mentionnées dans le roman existent bel et bien. le Hardrock 100 est également un ultra-trail au Colorado, d'un peu plus de 160 km.
En France, il sera question du trail Edeweiss ( 54 kilomètres dans le bassin gapençais ) qui existe réellement, ainsi que du Trail for Die ( Die est une petite commune dans la Drôme ) qui à priori a été inventé pour les besoins de l'histoire, peut-être pour la consonnance macabre de son nom : 90 kilomètres dont cinq de dénivelé, que les premiers concurrents parcourent en une dizaine d'heures.

Je continue mon jogging, mes jambes commencent à devenir un peu lourdes mais j'arrive à maintenir mon allure, foulant l'herbe après le bitume, et continuant à réfléchir à ce que je pourrais bien raconter sur ce bouquin.

Ces épreuves sont avant tout une communion avec la nature. Ce n'est pas la distance qui est importante, c'est le parcours.
"Racines, boue, crevasse ou verglas, il faut accepter les obstacles."
En forêt ou en montagne, autour des lacs, sur des sentiers de randonnée, les participants courent dans la terre, le sable, et même la neige. Ils gravissent des parois rocailleuses, écorchent leurs jambes dans les ronces.
Ce n'est pas pour rien que les trails sont appelés également "course nature" ou "course en sentier".
L'effort physique démesuré est souvent solitaire, avec des paysages magnifiques à perte de vue. La nature pour seule compagne peut s'avérer être une alliée ou une ennemie.
"Sous le voile austère d'un ciel de cendres, des sapins, des cèdres et des genévriers à perte de vue."
Par bien des aspects, Cavalier seul se rapproche du "Nature writing", on sent les les odeurs d'humus ou de mousse en pleine forêt, on ressent les conditions climatiques, on distingue sous nos pieds le contact des graviers ou des épines de pin.

Mon coeur commence à s'emballer. Faut que je ralentisse un peu. de toute façon j'ai un point de côté et, emporté par mon enthousiasme, je suis finalement parti trop rapidement. Je ralentis donc le temps de récupérer. J'en profite pour respirer l'air pur, pour sentir la brise sur mon visage. J'avance à toutes petites foulées, j'écoute les oiseaux gazouiller, la tondeuse du voisin. Je suis plus que jamais conscient de la pelouse sous mes pas, je m'imprègne de ...
Ah flûte, je viens de marcher dans une crotte.

A cet univers alliant sport et nature, Fred et Nat Gevart ont bien sûr ajouté une intrigue. On n'est pas du tout dans un thriller, on est dans un roman d'atmosphère un peu angoissante.
Jean-Baptiste Trannier, le principal personnage, est à l'image des auteurs un passionné de courses à pieds et de trails.
"Je lisais toutes les revus spécialisées. J'en connaissais les conseils par coeur. Fractionné, VMA, seuil, sorties longues. Quelle vitesse. Quelles distances. Des interrogations sans fin."
A sa première participation au Trail for Die, il pensera avoir course gagnée lorsqu'une femme le dépassera et le distancera. On pourrait presque croire à un fantôme puisque à son arrivée il est acclamé comme un vainqueur et pourtant, le nom de l'énigmatique Marion Ourozewski figure bien en première place du classement.
C'est la seule course à laquelle elle participe chaque année, et elle la remporte quasiment à chaque fois.
Il la reverra l'année suivante.
Obsédée tant par cette femme que par sa passion pour la course et la région, il prendra une décision radicale : Arrêter ses études de médecine et s'installer à Die, où Patrick, un ancien coureur, le prendra sous son aile en lui offrant un travail et en l'entraînant pour de futures compétitions.
Peu à peu, il apprendra que Marion et sa famille ne sont pas du tout appréciés dans le coin.
"Cette famille, elle pue la mort."
Quels secrets cachent-ils ? de quels crimes accuse-t-on le père de Marion, devenu fou à la mort de son épouse ?
"Je savais si peu de choses d'elle. Je ne devinais que des fragments de son histoire."

Je ne suis qu'à mi-parcours et déjà je n'en peux plus. Heureusement, j'arrive au point de ravitaillement. Ma nièce me tend une bouteille d'eau et mon neveu une barre de céréales. Sous une chaleur infernale, alors qu'ils crient "Allez tonton !", je me réhydrate et je puise dans mes ultimes ressources pour continuer à me propulser en avant, prêt à aller au bout de la souffrance.
Parce que le trail, c'est ça aussi, c'est aller au bout de soi et de ses limites.
"Je voulais des embûches. je voulais du défi. Je voulais du danger."
"Je cherchais la souffrance en gravissant tous les cols autour de la vallée."

Mais j'ai beau réfléchir et oxygéner mon cerveau, on ne peut pas dire que les idées fusent de partout.
Peut-être parler du style très particulier ? Les phrases sont particulièrement courtes et se succèdent les unes aux autres en donnant une impression de vitesse et de fluidité. A part les dialogues, tout est haché, jusqu'aux descriptions des personnages.
"La quarantaine. Très grand, large d'épaules. Une barbe négligée. Il lui a pris la main."
Moins accessible, quelques rares extraits d'un journal rédigé par un fou haineux, où à l'inverse il n'y a pas la moindre ponctuation.
"12 septembre 1994 hôtel insomnie quatre heures du matin grincements les heures reviennent pas trouvé de repos trop chaud"
L'écriture est très particulière, sobre, rythmée, elle est une composante essentielle de l'ambiance dérangeante qui émane des pages de Cavalier seul.

Dernière ligne droite. Mais c'est une longue montée. Je suis en nage, je sens les rigoles de sueur dégouliner dans mon dos, sur mes bras. Mes jambes sont dures comme des bouts de bois, j'ai mal dans tout le corps, mes pieds sont en sang, mes épaules me lancent.
Je ne vois pas la racine et je m'étale par terre. Je crois que je me suis tordu la cheville. Mais je n'écoute que mon courage, je me relève et continue cahin-caha. Ca y est, je vois la fin du parcours. Je n'ai plus que quelques instants pour réfléchir à ce que je pourrais bien mettre dans ma chronique.

Peut-être dire aux Babelionautes que Fred Gevart est un ami de Christophe Siébert, qui m'a vanté les mérites de l'atmosphère inquiétante de ses romans, tant par ses lieux hostiles que par ses personnages ? Que ce climat n'est pas sans rappeler les livres d'Eric Maneval ? Que Cavalier seul est en quelque sorte à la croisée des chemins entre un roman noir et un hommage aux trails permettant aux auteurs de partager leur passion sans ennuyer pour autant les lecteurs non initiés ? Qu'il s'agit finalement d'une façon originale d'introduire la nature et d'allier une géographie hostile bien réelle ( avec par exemple "les trois becs" que forment la Roche courbe, le Signal et le Veyou dans le massif du Diois ) avec un climat humain également menaçant, dont les histoires reposent sur des rumeurs et des mises en garde ?
Je ne sais pas, je ne trouve aucun angle sous lequel aborder ce roman qui m'a à la fois séduit par l'originalité de son atmosphère et de ses thèmes, tout en me destabilisant ou en me laissant sceptique à d'autres reprises.

Je pense de justesse à arrêter le chrono au moment de franchir la ligne d'arrivée. J'ai tout donné dans les derniers mètres. J'ai pourtant bien failli abandonner mais si j'ai bien retenu une chose de ma lecture, c'est que les prouesses sportives se jouent au mental, à la volonté.
J'ai tout donné, et je suis parvenu au bout de mon parcours avec la tête autant qu'avec les jambes.
Avant de m'écrouler, je jette un oeil à ma montre pour savoir combien de temps il m'a fallu pour faire tout le tour du jardin.
786 mètres en 5 minutes et 32 secondes.
Et toujours pas la moindre idée de critique ...

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