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Critique de DanielKoati


J'ai quasiment lu d'une traite ”A l'aube de soi”, le dernier roman de la poète et romancière libanaise, Michèle Gharios. Ce petit récit de moins de 200 pages est d'une richesse d'images, de langue, d'une densité dramatique qui tiennent le lecteur en haleine jusqu'au bout.

L'aube mentionnée dans le titre est ce moment où à la fin du roman la narratrice va enfin devenir pleinement maîtresse de sa vie et prendre en main son destin. le lecteur rêve déjà d'une suite pour savoir ce qui arrivera à cette femme qui, en une nuit, comme Schehérazade a gagné le droit de vivre, en racontant des histoires.

Si ce récit écrit à la première personne captive tant, c'est parce qu'il peut se lire de multiples manières.

Il entre tout d'abord dans la tradition du roman dit de formation et l'on suit le parcours tourmenté, par moments cauchemardesque d'une adolescente idéaliste, comme il en existe sous toutes les latitudes, devenue, sans vraiment savoir ce qu'elle faisait, l'épouse d'un homme dont finalement elle ne savait pas grand chose et qu'au fond elle n'aimait pas vraiment.

Après un exil parisien qui devient sous le toit conjugal une véritable descente aux enfers, elle retourne au pays qui connaît une accalmie et décide de rompre ses chaînes.

Le roman comporte aussi des aspects de manifeste destiné autant aux femmes qu'aux hommes quelles que soient les latitudes où ils vivent.

Même si Michèle Gharios est libanaise, ce qu'elle raconte de la vie du couple et des femmes, de la guerre qui déchire un pays n'a rien de spécifiquement libanais. La violence qu'elle décrit est universelle, qu'il s'agisse des sévices contre les animaux, de la violence conjugale, de la guerre et des traumatismes qu'elle provoque chez ceux qui l'ont faite ou simplement vécue.

La narratrice n'a pas de mots assez durs pour condamner la guerre : obus sur des quartiers résidentiels, francs-tireurs qui donnent libre-cours à leurs pulsions criminelles, lignes de démarcation qui font du voisin d'hier le bourreau d'aujourd'hui, analyses oiseuses des médias pour maquiller l'abomination, l'absurdité des événements.

Elle rappelle aussi aux mâles l'humanité pleine et entière de celles qui partagent leur vie. Comment peuvent-ils imaginer que la soumission aveugle de l'épouse niée, violentée, leur est à jamais acquise ?

Ce mari, misérable tyran, est-il victime des traumatismes de tout ce qu'il a peut-être vu ou fait pendant la guerre ? Il utilise le silence, la froide indifférence pour tuer cette épouse à petit feu.

Que de fois le lecteur a le coeur et les dents serrés en lisant ce que vit quotidiennement cette femme sublime d'intelligence et de générosité !

Ici aussi le lecteur rêve que Michèle Gharios écrive le récit de cet homme mystérieux, complexe et certainement fascinant, mais dont il est impossible de percer les mystères.

Tous ceux qui sont prisonniers à leur insu ou en en étant conscients d'une relation de dépendance affective se reconnaîtront dans toutes les excuses que la victime trouve à son bourreau, dans toutes les vaines espérances de lendemains meilleurs qu'ils nourrissent, dans la vanité de leurs efforts pour aller au devant des désirs de l'être aimé.

La narratrice a toutefois une indépendance d'esprit, une intelligence qui lui permet d'analyser, de rester tout le temps lucide et le lecteur a du mal à s'imaginer qu'elle se résignera à son sort. Mais il faut qu'elle aille jusqu'au bout de la nuit, boive le calice jusqu'à la lie pour se remettre debout.

Mais Michèle Gharios n'est pas une essayiste, ni une polémiste, ni une militante. Elle est d'abord et avant tout une poète qui raconte des histoires qui prennent aux tripes avec une langue belle, riche, musicale.

Pour finir, je donnerai juste un exemple de cette écriture poétique en découpant les phrases pour mettre en évidence le rythme:

Une femme sans nom
sans visage
un ruisseau désséché
par un soleil méchant
une fleur éternelle
qu'un crabe hargneux avait
déchiquetée de ses pinces (...)
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