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Critique de Fleitour


Fascinant, Randall de Jonathan Gibbs, le livre commence sur une énigme, et s'achève sur une autre énigme que l'auteur laisse en suspens, sur un rire, triste, sec et un peu voilé, p 370 « je viens de comprendre où est le tableau où il l'a mis. FIN » . A nous lecteur d'écrire la suite, j'imagine un concours de Babelio pour présenter la suite de Randall, où plusieurs versions pourraient parfaitement s'entrecroiser...

Troublante la mort de Randall, sa mort évoquée n'est pas décrite, quel testament a t-il laissé ? Pas de lettres et Vincent chargé de la succession est perplexe, son amie devenue la femme de Randall le prie de l'aider, car elle a découvert des oeuvres inconnues dans son atelier .
Rare sont les livres qui disperses les indices au point de laisser au lecteur le choix de la fin, et si le livre débute sur la découverte d'oeuvres majeures mais hautement humiliantes pour les acteurs de cette fiction, la qualité de l'oeuvre de Randall est une autre énigme, la plus délicate à percer, chaque lecteur pour le coup aura sur la peinture contemporaine de Randall des avis sans doute contradictoires.

Passionnant, le Londres des années 1990, de la « Cool Britannia », à l'émergence des « Young British Artists », et l'histoire de Randall inspiré du célèbre Damien Hirst chef de file de ce mouvement si important pour l'histoire de l'art de ces trente dernières années en Angleterre .Il y a un manque ou plus précisément un absent, le discours sur le chef d'oeuvre. L'art conceptuel et l'art contemporain s'accompagne le plus souvent d'un discours ( ex : ceux de Marcel Duchamp...) plus important que l'oeuvre elle même. Ainsi n'a t-on pas vu des toiles illustrant ou inspiré par Nietzsche , Rimbaud, Lacan... Dans ce Londres des années 90 , les Yougs Artists sont dans la lignée de Warhol, Jeff Koons, Duchamp, Arman ou même Anish Kapoor , auteurs qui ont suscité de nombreux écrits.


Incontrôlable  ou illusionniste ? " C'était, successivement, une honte, un fou rire, un trip éculé, une parodie, un acte criminel, sans doute ce qu'il avait fait de meilleur et une lettre de suicide collectif " p219 . Randall est un instinctif, pour Randall , l'art conceptuel renversait tout, "de façon à ce que le geste essentiel intervienne non avant mais après et ne dépende pas de l'artiste mais du spectateur" p 218. Ainsi le papier hygiénique qu'il ramène des WC ne va t-il pas, lui permettre de tirer son portrait, ou plutôt comme dit Warhol son autoportrait. Puis d'autres viendront sur le siège appuyer leur fondement pour en illustrer leur plus sublime faciès, appelés pleins soleils et exposés dans les meilleures galeries, ça vous change un portrait !!! Est il le seul à lancer de tels incongruités ? La mode est à la provocation...J'ai vu une exposition Amish Kapoor au Guggenheim de Bilbaoen 2013. Enfin, vu est un bien grand mot. Qu'y avait-il à "voir", exactement : une salle entière envahie d'étrons en ciment, répliqués jusqu'à l'obsession. Ce type de vulgaire provocation convoquée à prix d'or me semble aussi relever de la farce.

Provocations jubilatoires , pour beaucoup d'entre nous lecteurs elles sont savoureuses et constituent le grand intérêt du livre . La peinture contemporaine c'est du bidon puisqu'une partie de paintball peut engendrer des toiles qui seront achetées à des niveaux de prix farfelus .Pourquoi ne pas se priver de goûter à toutes les idées et les caricatures absurdes lancées par Randall depuis la bouteille de champagne renversée , signée Tète de Barry achetée 1000£ par le 1er mécène du groupe Jan de Vries « il en vaudra 10 000£ dans 2 ans » p 69 . Toutes ces facéties sont ubuesques , le livre en est émaillé , jusqu'au jaune de Randall faisant échos au bleu de Klein, on est sûrement dans de la pure mise en scène marketing lancée pour mieux se faire encore un peu plus de money.

Mais émouvante est la relation qui nait entre Randall et son fils Joshua, on sent que le livre bascule à la naissance de son fils. Sa mère Justine ne se doute pas de la relation que Randall réussira à nouer avec Joshua, ce garçon né dans la douleur et encore handicapé par des séquelles . A la fin du livre Joshua dévoile les vidéos réalisées avec son père sur une des oeuvres de Randall, un tournant décisif et une nouvelle dimension artistique pour Joshua celui qui se veux le porte parole de l'oeuvre de son père.

Énigmatique l'obsession de Randall pour le cercle, la forme parfaite « Chapitre II, le cercle parfait P31 » , celle vénérée par les japonais , représentant le Yin et le Yang dans un cercle magique. Randall tout jeune étudiant des beaux arts est fasciné par le cercle, c'est pour lui un apprentissage indispensable, il s'exerce des jours pour réaliser cette figure, comme un idéogramme de l'art de la calligraphie japonaise ou chinoise. C'est aussi le cercle que Randall admire dans le motif de la danse, suggéré par le tableau de Matisse au MoMA.

Fracassant Joshua à la fin du livre, il montre à Justine sa mère et à Vincent les travaux qu'il a réalisé avec sa vidéo sur les toiles de Randall son père et au bout de sa camera apparaît : « C'est un tableau, immense, ...Une ronde de personnages qui s'enfilent...,Randall, Tom, Jan de vries, gina, Cory Plouffe, Keene, Lisa, Handson et Justine, tous sereinement liés, et tournant en cercle, en une espèce de danse » p357 suggérant le célèbre tableau de matisse, ce n'est pas un hasard si Randall considère ce tableau sublime comme le plus beau tableau jamais peint.


Puissante la démarche de Randall, on le croit fou, il est entier dans la douleur, il est surtout obstiné, son mariage avec Justine est le trait d'union de l'artiste avec le Japon. Justine travaille au Japon elle est défricheuse de tendances : Manga ,Miffy ,Totoro...et les artistes japonais comme Takashi Murakami... C'est là bas qu'il entrevoit un avenir pour sa peinture P320 “c'est un rouleau de Deishu, c'est de la calligraphie japonaise. Un rouleau. C'est un cercle de Randall ... ça s'appelle ENSO ( Chapitre VIII) , ça date du XVIIIème. “.Plein Soleil de Randall sera au final exposé au MoMA et où? Sur le seul emplacement enviable juste EN FACE du tableau de Matisse.

Dire au final où je me situe comme lecteur est impossible, les approches de cet ouvrage de Jonathan Gibbs sont multiples, sa connaissance de l'art contemporain en fait un livre très sérieux, exprimer totalement ma pensée reviendrait à vous dévoiler ma version de l'énigme, je ne suis pas certain d'avoir la bonne, même si j'ai glissé, moi aussi des indices. On dit parfois que l'art contemporain est conceptuel et non figuratif, ce que nous dévoile Jonathan Gibbs est très figuratif, les couveuses de Randall m'ont submergées d'émotions , j'ai senti que nous touchions dans l'évocation des premiers jours de Joshua à de l'ART pur.



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