AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domi_troizarsouilles


Dans le cadre d'un challenge géographique, j'avais cherché un (ou plusieurs) livres d'auteurs allemands, et de préférence un polar. Parmi les différentes propositions que m'a listées Google, j'ai trouvé celui-ci, qui a aussitôt attiré mon attention, car il touche à un sujet qui m'a toujours beaucoup intéressée : la 2e guerre mondiale, et ici donc, vue du côté allemand !

L'histoire se passe sur le printemps et le début de l'été 1944 à Berlin. On rencontre Richard Oppenheimer, ancien commissaire de talent, mais déchu de ses fonctions car il est juif. Il vit dans une « maison juive » avec son épouse, grâce à qui il a échappé jusque-là à la déportation car elle est bonne aryenne et leur mariage date d'avant l'arrivée au pouvoir des nazis : en effet, on apprend ainsi que de tels mariages protégeaient les Juifs, dans certaines limites cependant. Lorsqu'il se fait réveiller dans la nuit par la SS, il pense que c'est la fin malgré tout… mais non ! Un jeune officier SS, Vogler (je crois que son prénom n'est pas cité une seule fois !), fait appel à lui en tant que « consultant » sur un meurtre particulièrement odieux, qui semble en plus l'oeuvre d'un tueur en série, après quelques recoupements avec des crimes plus anciens… Et tandis que les Alliés larguent des bombes à tour de bras sur la ville, que les rumeurs d'un débarquement en Normandie ne cessent d'enfler (bruits sans cesse minimisés ou tournés en dérision par le ministère de la Propagande, qui insiste plutôt sur les dégâts qu'ont provoqués les missiles V1 sur Londres), Richard reprend une vie de commissaire, et voit ainsi son statut social s'élever brusquement – on lui ordonne même d'enlever son étoile jaune ! -, mais il se rend bien compte que sa survie ne tient qu'à un fil, et que le moindre faux pas dans cette enquête pourrait bien être fatal.

Ce livre autant intéressant que touchant, et aussi glaçant par moments, est donc un vrai polar avec tous les éléments habituels : les corps qu'on retrouve, la recherche du ou des coupables, les fausses pistes, et tout le déroulement de l'enquête. Toutefois, cette enquête, si elle est bien plus travaillée qu'un simple prétexte, n'est pas non plus centrale. On est davantage dans l'analyse psychologique fine des deux personnages principaux, avec une attention à quelques personnages secondaires, tandis que le contexte a lui aussi une importance primordiale dans l'histoire.
Comme on peut s'en douter, l'auteur ne prend jamais le parti des nazis, ni ne cherche à excuser une quelconque de leurs actions… mais, s'il est virulent, parfois caustique, vis-à-vis de certains (on a un passage où nos héros rencontrent Goebbels en personne ! et clairement le ministre de la Propagande n'est pas présenté à son avantage !), il est plus modéré avec d'autres, chez qui il parvient à trouver une vague lueur d'humanité, tout en rappelant encore et encore leur dangerosité liée à leur endoctrinement – il n'hésite pas, par exemple, à parler de « génération perdue » quand il s'agit des Jeunesse hitlériennes.

Ainsi, on apprend plein de choses (plus ou moins connues) sur l'organisation de l'appareil nazi. Je dois dire, à partir d'un certain point, j'étais complètement perdue entre leurs différentes et trop nombreuses sections, la plupart d'entre elles présentées par des abréviations – que le traducteur a certes pris la peine d'expliquer en quelques mots – mais au bout d'un moment je ne parvenais plus à retenir qui appartenait à quel corps, ni quel corps était chargé de quoi exactement. Cela dit, ce n'était pas le plus important et ça ne gênait pas vraiment la lecture ; après tout, mon cerveau s'est vite contenté du fait qu'ils sont de toute façon tous du côté des « méchants » historiques, et peu importe leur affectation : ils sont tous caractérisés par une lutte plus ou moins larvée pour le pouvoir au sein même de leur organisation, et tous obsédés par l'avènement de la grande Germanie.

On vit ainsi au jour le jour dans un Berlin ravagé par les bombardements alliés, que l'auteur déplore quelque peu sans jamais tout à fait critiquer toutefois : comme il le relève avec justesse, « Leurs bombes ne pouvaient distinguer nazis et opposants au régime, sans parler des Allemands qui n'entraient dans aucune de ces catégories. On pouvait se demander à juste titre si tous les hommes étaient égaux devant Dieu mais, en ce qui concerne les bombes, il n'y avait aucun doute : elles n'épargnaient personne. La question de savoir jusqu'à quel point les bons pouvaient se montrer méchants lorsqu'ils combattaient le mal ne se posait plus pour Oppenheimer. À la terreur, les Alliés répondaient par la terreur. »
L'auteur laisse ainsi entendre que les Berlinois, de façon convaincue ou simple résultat de la propagande qui était le seul message qu'on leur ressassait encore et encore, continuaient de rêver à l'Empire promis par Hitler, tout en espérant de façon plus ou moins inavouée que les Alliés remporteraient cette guerre interminable qui n'avait plus de sens pour eux, et qu'ils voyaient bien que Hitler n'était pas exactement en train de gagner… Par moments on les sent réellement pris en étau, certains encore convaincus que tous leurs malheurs venaient des Juifs, d'autres tout simplement désespérés de la folie ambiante.

C'est donc dans ce contexte que Oppenheimer et Vogler cheminent ensemble, bon gré mal gré. On a rarement vu paire d'enquêteurs plus disparates : l'un est juif comme déjà soulevé, craignant jour après jour pour sa vie et celle de sa femme (toute aryenne qu'elle soit, par son mariage elle est elle aussi « condamnée » à vivre, ou plutôt survivre, dans une maison juive, de moindre confort, et c'est peu dire!), mais indéniablement heureux – autant qu'on peut l'être dans un tel contexte - d'avoir repris une activité intellectuelle d'enquêteur ; face à un nazi absolument convaincu, pas heureux d'être affecté à ce poste qu'il trouve trop administratif à Berlin et espérant pouvoir rejoindre un poste de combattant pour le Reich, mais en attendant il fait ce qu'il peut et ce qu'il faut pour tirer son épingle du jeu, si possible avec les honneurs et de l'avancement, tandis qu'il détient le sort de son coéquipier entre les mains à tout instant, jusqu'à la dernière page.
Pourtant, peu à peu les deux hommes se rapprochent et, même si on ne sait jamais tout à fait bien jusqu'à quel point on peut faire confiance ou pas à Vogler (et l'auteur laisse planer ce doute tout du long), on sent une forme d'appréciation mutuelle, de complicité même dans certaines situations. Et on lit cela comme si c'était normal, comme dans n'importe quelle affaire criminelle où les deux enquêteurs principaux sont très différents… mais toujours on se rappelle que c'est bien pire, le couple nazi-juif ne devrait pas fonctionner ! Pourtant il fonctionne, peut-être parce que l'auteur parvient à distiller cette lueur que je citais plus haut : on trouve chez Vogler le SS, par moments au moins, cette étincelle d'humanité malgré tout, qu'il cache sous des dehors parfois bourrus… et qui semble vouloir montrer que, malgré un endoctrinement sévère depuis l'enfance (on rappelle que Vogler est un jeune officier), toute trace d'humanité n'est pas tout à fait perdue…

L'écriture est plutôt fluide, à la limite du journalistique parfois, et généralement dénuée d'émotions… mais à la réflexion, je ne sais pas trop si c'est culturel (les auteurs allemands ne sont pas les plus lus en francophonie, je pense ! mais ça correspondrait bien à l'idée parfois un peu froide que l'on peut se faire du peuple germanique) ou si c'est voulu, dans le sens où, même si on peut comprendre une certaine souffrance du peuple berlinois en cette fin de guerre où la folie de leurs dirigeants éclate plus que jamais, tandis que leurs défaites militaires se succèdent, on ne peut pas réellement compatir avec eux. Même l'auteur semble se l'interdire lui-même! comme dans le passage que je citais plus haut, mais qui commençait par ce mots : « À quelques mètres de là, au bord de la route, Oppenheimer aperçut la carcasse noircie d'un landau. » La lectrice belge que je suis, qui n'ai pas connu la guerre mais qui en ai entendu parler, petite, sous forme de souvenirs d'enfance de mes propres parents (papa est né en 1937, maman en 1939), a certes un petit coup au coeur à cette image de landau noirci – quoi de plus horrible qu'un bébé victime d'une guerre ? lui synonyme de l'innocence par excellence ! – mais en même temps, ce bébé innocent représente lui aussi l'Ennemi, l'un des pires que l'humanité ait connus tout au long de son Histoire pourtant parsemée de tant et tant de guerres !
Ainsi, je pense que l'auteur a trouvé le ton le plus juste possible pour nous conter une telle histoire, tout simplement, et d'une certaine façon c'est ça qui fait toute la force de ce polar atypique.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (2)voir plus




{* *}