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Critique de gatsbi


Avec le quiproquo qu'il entretient, Metro 2033, de Dmitry Glukhovsky, a de quoi cliver !

Dans Metro 2033, les personnages évoluent dans un univers post-apocalyptique comme en regorge la SF. Cela en fait-il un roman de SF ?
L'univers de Metro 2033 s'ancre très fortement dans la réalité. Cela en fait-il un roman de SF ?
La société caricaturée dans Metro 2033 – de manière à peine voilée, la nôtre – est souvent critiquée. Cela en fait-il une dystopie ?
Peut-être, peut-être.
Mais d'un autre côté, il suffit de s'intéresser un tout petit peu à la structure, à la mécanique et aux ressorts de ce roman pour réaliser à quel point ceux-ci sont caractéristiques de la Fantasy, et tout particulièrement d'une de ses réalisations : les RPGs (rôle playing game).
En général, je considère l'étiquetage comme accessoire. Ici, je pense que c'est une clé pour la compréhension et l'appréciation de ce texte, pour la simple raison que les attendus ne sont pas les mêmes selon les genres, et que l'auteur donne l'impression d'entretenir l'ambivalence.


Toujours est-il que c'est avec la plus grande ouverture d'esprit que j'ai abordé la lecture de ce phénomène d'édition, avec pour seuls indices le quatrième de couverture et quelques critiques lues en diagonale qui semblaient confirmer le positionnement SF, mention thriller-fantastique. du post-apo bien gore et bien flippant. Même promesse de la couverture, avec son titre rouge sang et ses incrustations glauques sur fond ténébreux. J'ai presque cru à un survival à la Alien ou un truc de morts-vivants !

Premières pages et je plonge dans l'ambiance. Métro moscovite dernier refuge, les noms russes et tout, des vétérans au caractère trempé (Piotr Andreïevitch, Andreï). Des descriptions précises, un peu de contexte, des anecdotes, un langage adapté… plutôt crédible et bien fait. Même la présentation du héros, le jeune Artyom, est bien amenée. J'attends la suite. Et déjà je m'interroge : 850 pages quand même, woh ! Quelle histoire peut justifier pareil pavé ? Et ce n'est pas comme si l'écriture était bâclée, c'est même tout le contraire : un style fluide avec de belles phrases non triviales, et tout ce qui est dit sonne juste.

Et puis, rapidement, au bout de quelques chapitres, le déclic : bon sang, si ce n'est pas de la Fantasy, ça !

Commençons par le pitch dépouillé de tout background : un jeune héros (orphelin, protégé et inexpérimenté) se voit confier, à son grand étonnement, une mystérieuse mission de la plus haute importance (l'avenir de l'humanité en dépend) par un non moins mystérieux personnage. Celui-ci, puissant et vaillant, n'hésite pas à sacrifier sa vie en tentant de faire obstacle à un ennemi mortel. L'aventure commence alors pour le jeune héros, qui a pour consigne de se rendre en un lieu précis afin d'y trouver de l'aide…

Il se trouve que ce pitch est aussi celui d'un certain Baldur's Gate, jeu culte s'il en est, paru en 1998 ! Baldur's Gate est un classique du RPG dans un univers de fiction médiéval fantastique (un bon représentant de la Fantasy). Une comparaison douteuse ? Je ne crois pas : au-delà du pitch, Metro 2033 reprend la structure, la mécanique et presque tous les codes d'un RGP à la Baldur's Gate. Simplement, il les adapte à la nécessaire linéarité d'un roman et à un univers très atypique pour de la Fantasy.

Concernant la linéarité du roman, l'intrigue proposée correspond simplement à l'un des nombreux chemins possibles dans un RGP : le plus naturel, celui suggéré, celui induit quand sélectionne toujours le premier choix dans les dialogues… L'auteur laisse de nombreuses traces de ces choix exploratoires. Par exemple, dès le début de sa quête, le jeune héros considère les différentes possibilités pour rejoindre sa destination en examinant le plan du métro (comme je l'ai fait !). Plus tard, Bourbon puis Khan feront les choix à sa place, car notre jeune héros est avant tout un parfait suiveur.
Autre exemple, plus loin : « Comme le preux chevalier des contes, il se tenait à la croisée des chemins et trois routes s'offraient à lui. »
La géographie de l'univers de Metro 2033 (un réseau représenté sur le plan du métro) cadre d'ailleurs formidablement avec cette idée de liberté d'exploration présente dans les RPGs. D'ailleurs ce plan rappelle furieusement les zones confinées de ces jeux (type donjons). Dès l'introduction, avec ces factionnaires qui racontaient leurs anecdotes à propos des tunnels, j'ai immédiatement pensé aux mineurs de la mine dans Nashkel de Baldur's Gate (et pourtant ça date !). Même ambiance, mêmes ressorts…

Quelques mots sur la structure.
Celle-ci prend la forme d'un parcours initiatique, ce qui est suggéré au dos du livre. Forme reine du conte et de la Fantasy, même si on la rencontre parfois aussi dans la SF.
Metro 2033 est extrêmement répétitif : le héros se trouve dans une station, observe et glane des informations utiles, se fait accoster, entreprend la traversée d'un tunnel, affronte ses dangers, puis rejoint la station suivante (occasionnellement, le danger se situe dans la station). Et ainsi de suite. Les chapitres sont formatés ainsi.
Ce caractère répétitif serait, au mieux, lassant pour de la SF. Mais sous l'angle de la Fantasy, c'est déjà plus habituel, et ça devient normal pour un RPG, avec ses étapes dans les auberges et les villages, ses ravitaillements, ses recrutements, ses sorties dans le "wild", ses échauffourées, puis ses retours au bercail (ou pas), le tout dans un rythme pépère-tranquille-routinier. Un rythme RPG.
Le rythme dans Metro 2033 est donc lent et régulier, avec de longs et nombreux chapitres qui s'enchainent sans créer de suspense. Rien d'haletant, et c'est une des raisons pour lesquelles j'écarterais le qualificatif de thriller.

L'univers de Metro 2033 est l'une de ses forces.
Un univers post-apo et… métro ! qui se veut réaliste. Très typé SF donc, et très peu typé Fantasy, ce qui à mon sens explique pour une large part le quiproquo.
La crédibilité, si importante pour l'immersion dans le cadre de la SF, ne résiste pas longtemps à la lecture attentive : des champignons et quelques porcs (qu'il faut nourrir) pour trois-cents habitants par station, vraiment ? Je reste dubitatif, armé des quelques notions de survie qui me sont restées de la lecture de l'excellent Seul sur Mars, d'Andi Weir. Aussi, des formes de vie sociale semblent s'être organisées dans la plupart des stations. Et que je te crée une administration, une milice, etc. Je suis peut-être pessimiste, mais vu les conditions décrites, je ne vois pas comment pourrait émerger autre chose que le chaos, l'horreur et l'extinction à très court terme (il faut dire que j'ai encore des images marquantes de Ravage, de Barjavel).
Mais au fait, qu'est-ce que cela change, du point de vue Fantasy ? Et bien tout ! Car la Fantasy n'exige nullement un haut niveau de crédibilité pour s'immerger son univers. Il suffit d'un monde riche et cohérent, et c'est exactement ce qu'a imaginé Glukhovsky avec son Metro 2033. le sentiment de tranquillité et de normalité qui se dégage dans la plupart des stations, malgré les règlements de comptes courants et autres troubles, peut surprendre, mais est finalement typique des RPGs.
Cette crédibilité relative (ou de façade) dans Metro 2033 est d'ailleurs l'autre raison qui m'empêche d'y voir un thriller : cela me parait difficile de susciter la peur chez un adulte dans un univers imaginaire et non réaliste.

Corollaire d'un univers fouillé, les descriptions sont légion dans Metro 2033. C'est précisément leur nombre, leur forme et leur fonction qui m'ont mis la puce à l'oreille concernant la nature de ce roman. Un bon quart est consacré à ces petites histoires, ces courts récits par lesquels l'univers prend forme et consistance dans notre esprit. Ils parsèment les chapitres, viennent isolément ou par grappe, sous la forme d'anecdotes échangées par les personnages, de rumeurs colportées, de rêves vécus ou racontés. Cette façon de raconter est tout à fait inhabituelle dans la littérature. Même dans la Fantasy elle n'atteint pas ces proportions. À vrai dire, le seul exemple que je connaisse provient de RPGs, et Baldur's Gate en est un exemple typique. Tout joueur le sait : pour en connaitre un peu plus sur l'univers, il n'y a que deux solutions : commander des chopes à l'aubergiste du coin en échange d'une "rumeur" ou épuiser tous les choix de dialogue avec les Personnages Joueurs et Non Joueurs (anecdotes). En outre, dans Baldur's Gate comme dans Metro 2033, de nombreux rêves jalonnent la quête du héros, qui s'ajoutent aux anecdotes et aux rumeurs.
Mon avis sur l'usage de cette technique de narration dans Metro 2033 ? Avant tout je salue l'idée, la créativité, le soin et l'ampleur du travail réalisé par l'auteur. L'inconvénient est le côté patchwork, éparpillé et artificiel. L'avantage est la facilité à ajouter ou retirer du contenu, quels que soient le moment et l'endroit. Une technique pertinente quand on considère que l'auteur a peaufiné son roman sur son site en mettant dans la boucle les internautes.
Les descriptions des lieux sont récurrentes et similaires. Elles finissent par lasser, même si elles participent à rendre l'univers.
Les anecdotes et les rumeurs sont trop nombreuses et trop fournies. Au niveau du contenu, on est dans la lignée de ce qu'on trouve dans un Baldur's Gate (riche, varié et de bonne qualité pour ce type de divertissement).

Metro 2033 décrit de nombreuses formes d'organisations politiques ou sociales en conflit. Elles jouent le même rôle que les factions des RPGs : elles structurent les lieux, divisent les personnages secondaires et inspirent de nombreuses intrigues.
Plusieurs de ces récits sont des critiques directes des régimes et idéologies les plus courants. Plutôt que de parler de dystopie, j'y vois au plus une critique de la société en toile de fond : l'esprit du roman reste le divertissement, le récit d'aventures.
Au niveau de la réflexion, rien de transcendant (même si la plume bavarde et soignée de Glukhovsky donne souvent l'illusion d'un message plus élaboré) : le capitalisme rassemble des gens riches et égoïstes, les néo-nazis sont des racistes, les religieux pratiquent souvent le prosélytisme… Ce n'est pas une critique, car encore une fois, je pense que ce roman est un pur divertissement, loin des dystopies sérieuses.

Parlons personnages !
Le héros (Artyom) n'a aucune force de caractère. Doté d'un bon fond plus qu'ordinaire tout en collectionnant les défauts les plus courants, ses réactions sont presque toujours infantiles, ses rares prises de décision souvent stupides, et ses actes de bravoure exceptionnels et pas forcément judicieux. Pour résumer, une personnalité creuse, à l'image du héros dans les RPGs dont les contours ne sont souvent qu'esquissés afin que chaque joueuse et chaque joueur puisse se l'approprier. Même si tel était le but, je pense que c'est une erreur. le résultat est désastreux en tous cas.
Les personnages secondaires sont légion. Parmi eux, une douzaine croisent la route d'Artyom pour le sauver, le conseiller, l'accompagner. Loin d'être ratés, ce sont des stéréotypes à l'image des PJ (Personnages Joueurs) des RPGs. Avec quelques simplifications de taille : dans Metro 2033, les PJ se succèdent toujours, et n'accompagnent le héros que le temps d'un chapitre (deux tout au plus), le temps de finir leur sous-quête. de plus, ils apparaissent toujours à point nommé et comme par magie sur la route d'Artyom. La passivité de celui-ci ne s'arrête pas là puisqu'à chaque rencontre il se plie presque à tous les desiderata des PJ. C'est peut-être là d'ailleurs le seul positif d'avoir un tel héros mou : une certaine cohérence !
Le résultat produit ressemble à l'aventure d'un joueur de RPG qui se contenterait de recruter systématiquement le premier PJ suggéré (mis artificiellement sur sa route), de toujours sélectionner le premier choix de dialogue et de prendre congé sitôt la sous-quête réalisée : une histoire courue d'avance et sans piment.




Retrouve-t-on les classes typiques de la Fantasy et des RPGs ? Et bien... oui ! Moyennant les nécessaires adaptations pour coller à l'univers de Metro 2033, mais, globalement, oui.
Les classes guerrières sont logiquement bien représentées dans cet univers, avec des militaires (Polis), des tueurs-traqueurs (Hunter), et de simples soldats (milice, gardes et factionnaires).
Les rôdeurs sont non seulement de robustes guerriers, mais ont développé des capacités spécifiques pour survivre en extérieur. Ils sont ici représentés par les Stalkers.
Les voleurs sont bien présents dans Metro 2033, mais finalement peu mis en avant, à part peut-être Bourbon.
Les prêtres ne soignent pas dans Metro 2033. Représentés par les Brahmanes, ils pratiquent la divination et sont les garants de la connaissance.
Enfin, l'univers Metro 2033 cantonne les mages (Khan) à des pouvoirs psychiques et mystiques (prescience, manipulation mentale, télépathie et communication avec les morts).

Passons rapidement en revue quelques autres caractéristiques des RPGs :
Les RPGs définissent typiquement une poignée de corps de métier récurrents dans les zones visitées. L'univers Metro 2033 ne déroge pas à la règle et transpose à peine les archétypes de professions : on y retrouve les gardes et la milice, les commandants et les administrateurs, les marchands (colporteurs), les voyageurs, et les aubergistes (souvent de simples résidents prêtant leur tente).
Dans les RPGs la monnaie est très importante puisque le joueur passe une bonne partie de son temps à vendre et acheter à peu près tout. Cet aspect se retrouve dans Metro 2033, où l'on nous précise très régulièrement la valeur précise des marchandises et des services, même lorsque cela a peu d'intérêt.
L'équipement est encore un aspect très développé dans les RPGs. Glukhovsky conserve cet héritage en décrivant précisément les différents types d'armes utilisées ainsi que la gamme de vêtements et de protections, allant des bottes au casque avec vision infra-rouge.


La filiation étant démontrée, il est intéressant de voir que l'auteur, ayant pris conscience des limites de cette façon d'écrire, choisit délibérément de les relever :
- L'auteur concède la lourdeur et le suremploi des anecdotes :
« Mais on le sait, ça ! Qu'est-ce que tu nous saoules avec ton cours magistral ? »
- L'auteur concède l'artificialité dans l'intervention des personnages secondaires :
« Ses ennemis étaient frappés de cécité et ses amis de clairvoyance pour lui venir en aide à point nommé. »
- L'auteur concède l'artificialité dans les sous-quêtes liées aux personnages secondaires :
« Comme dans les vieux contes, il devait aller "là-bas", sans savoir où, ramener "cela", sans savoir quoi, et en échange de quoi on lui promettait une solution miraculeuse à son problème, sans même lui en préciser la nature. »
- L'auteur concède l'artificialité dans l'intervention des personnages secondaires ET dans les sous-quêtes qui leur sont propres :
« J'ignore quelle est ta mission, mais je sais qu'elle sera lourde pour tes seules épaules, alors j'ai décidé de t'aider, ne serait-ce qu'un petit peu. »
Évidemment, relever les défauts ne les efface pas.
Une autre lecture possible : l'auteur n'y voit peut-être pas des défauts et se contente de faire des clins d'oeil…


Dans Metro 2033, on finit par s'apercevoir que la part de Fantastique (vision SF) ou de merveilleux (vision Fantasy) n'est pas claire. Glukhovsky joue énormément sur la limite entre le réel et le surnaturel (ou magique), ce qui évidemment brouille complètement les repères. Il l'explicite même à un moment : « J'ai eu droit à tant d'histoires sur l'Université, sur le Kremlin, sur Polis... mais il n'y a aucun moyen de distinguer la vérité de ce qui a été inventé autour d'un feu de camp. ». Un tel énoncé, si on lui donne crédit (et je ne vois aucune raison de ne pas y voir la pensée de l'auteur), revient ni plus ni moins à ne pouvoir rien déduire de la moitié de ce qui est dit dans le livre… Exactement le type de facilités que je déteste !


Pour résumer le plus gros défaut de ce roman qui ne manquera pas de heurter si on l'envisage avec un regard purement SF : les personnages secondaires ne survivent pas à leur sous-quête, pas plus que les bribes d'intrigues qui y apparaissent timidement. En conséquence, l'attachement aux personnages et la construction d'une intrigue sur la durée sont impossibles. Ne reste que l'univers et l'immersion à laquelle chacun des épisodes (optionnels et permutables pour la plupart) apporte sa petite pierre. Les lectrices et les lecteurs surtout séduits par l'univers ultra stylisé de Metro 2033, et pas réfractaire aux codes RPGs sont sans doute les plus susceptibles d'adhérer.


À l'aune de ce roman particulier, je vois Dmitry Glukhovsky davantage comme un formidable créateur d'univers doublé d'un prolifique créateur de contenu. Cela ne m'étonne pas qu'un jeu vidéo ait été tiré de ce Metro 2033, ni que l'auteur favorise la reprise de son univers par d'autres auteurs.

Personnellement, j'ai apprécié la découverte de cet univers, mais j'aurais certainement refermé le livre au bout de 300 pages à cause de la répétitivité. J'ai pourtant poursuivi la lecture, non pas pour connaitre la fin de l'histoire, mais parce que j'y ai trouvé de quoi nourrir ma réflexion dans un domaine qui m'intéresse particulièrement : le brassage des formes de littérature. Cette longue critique scolaire et indigeste en est le témoin, mais ce qui compte c'est de se faire plaisir, n'est-ce pas ! Par contre j'ai très envie, du coup, de voir comment s'en tire un grand auteur français tel que Bordage, qui s'est prêté au même jeu sur le même univers…


Pour finir, j'ai une pensée émue pour l'auteur, car en faisant mes recherches j'ai appris qu'il venait d'être inquiété tout récemment pour son seul engagement politique (il risque 10 ans de taule)…

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