AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



Cher monsieur Antyryia,

Nous avons bien reçu votre critique du roman Mentor de Lee Matthew Goldberg, que nous avons lue avec beaucoup d'attention.
Cependant, j'ai le regret de vous annoncer que notre revue ne la publiera pas.
En effet, votre chronique choquante manque d'objectivité et présente en outre différentes maladresses linguistiques.
Je vous souhaite le meilleur pour la suite, mais je ne peux que vous conseiller de ne pas persister dans cette voie.
Veuillez agréer, monsieur Antyryia, l'expression de mes plus sincères salutations.

---------------------------------------------------------- Peter Kross ---------------
---------------- Président directeur général de Babelio Magazine ---

Quel salopard !
Je déchire ce courrier hautain reçu ce matin, à la fois furieux et humilié.
Pour me calmer, je me cogne la tête contre les murs de la salle de séjour, jusqu'au sang.
Décidément, ils ne comprennent rien à mon talent. Cette critique, j'ai mis des heures à la rédiger, j'y ai mis toute mon énergie, toutes mes tripes !
J'ai passé des dizaines d'heures à peaufiner encore et encore chaque mot, chaque idée. Mes transitions étaient parfaites, mon style plus abouti encore que ceux d'Albert Camus ou de Jean-Paul Sartre.
En trois pages seulement, je suis toujours allé à l'essentiel avec une économie de mots digne de Jean-Louis Fournier.
Sans fausse modestie, mon travail n'était ni plus ni moins que la quintessence de la chronique littéraire.

Ma haine est d'autant plus immense que je connais bien Peter Kross.
Il y a quelques années j'ai sauvé son entreprise de la liquidation judiciaire, je lui ai accordé différents plans de règlement qui ont permis à Babelio Magazine de ne pas mettre la clef sous la porte et de ne licencier aucun salarié.
Aujourd'hui, son entreprise a tellement prospéré qu'elle est devenue numéro un en France des revues littéraires.
Autrement dit, il me doit tout. Mais de toute évidence, son succès a du lui monter à la tête.
La modestie n'a jamais été son point fort ...
La moindre des choses aurait été de me renvoyer l'ascenseur mais non, il m'envoie un courrier méprisant en faisant même semblant de ne pas me connaître.
Mais il est hors de question que ça se passe comme ça !
Ce serait mal me connaître de penser que je vais me contenter d'un courrier d'insultes.
Armé d'un long couteau de cuisine, je prends aussitôt le train pour Paris.
De gré ou de force, je vais faire comprendre à Peter qu'il m'est redevable, et qu'il a fait une grosse erreur en rejetant ma critique.
Il faut qu'il soit aveugle pour ne pas voir le potentiel de ce joyau. du talent à l'état pur !
"C'était plus qu'un simple roman, c'était une de ces oeuvres qu'on étudierait dans les universités pendant les decennies à venir, on l'analyserait, on la dissèquerait, on en débattrait."

J'arrive en milieu d'après-midi dans les locaux de Babelio Magazine. La standardiste annonce mon arrivée impromptue à son PDG, que j'entend soupirer à l'autre bout du fil mais qui m'autorise cependant à le rejoindre au dernier étage.
Je me force à prendre un grand sourire et après une poignée de main virile, je lui explique les raisons de ma présence.
- J'ai reçu un courrier de tes services aujourd'hui, et je pense qu'il y a eu une confusion. Je t'ai fait parvenir un somptueux billet concernant Mentor, le livre de Lee Matthew Goldberg, bien supérieur à tout ce qu'on peut lire habituellement dans ton magazine, et j'ai été surpris je dois dire par le refus qui m'a été opposé. Mon manuscrit a probablement du tomber entre les mains d'un de tes stagiaires incompétents. Du coup je viens te le remettre en mains propres. Tu vas adorer, j'ai sué sang et larmes pour parvenir à un résultat aussi magnifique. C'est le firmament de la critique, largement supérieur à tout ce que peut rédiger ta petite protégée Dame Ymelc.
- Assieds toi Antyryia, il faut que je te parle. Tu sais, sincèrement, je te suis très reconnaissant de tout ce que tu as fait pour moi il y a une dizaine d'années. Et j'aurais vraiment voulu pouvoir te rendre la pareille, mais cette fois en tout cas ça ne sera pas possible.
- Tu peux m'expliquer ? J'avoue que je ne comprends pas. Tu vas te faire des couilles en or avec moi. C'est du gagnant - gagnant.
- C'est bien moi qui ai lu ta critique. Et j'aurais aimé partager ton enthousiasme mais ... comment te dire ? ... Tu n'as vraiment pas le moindre talent. Je suis désolé si mes propos sont blessants mais il vaut mieux trancher dans le vif, tu ne crois pas ? J'ai lu Mentor, qui m'a d'ailleurs rappelé à de nombreuses reprises notre relation. Comment ne pas y songer en lisant ce thriller relatant le conflit entre Kyle Broder devenu un célèbre éditeur et son ancien professeur de lettres William Lansing désireux de publier son propre livre ? Et tu n'as rien compris au roman. Tu ne sais pas non plus t'exprimer.
- Comment peux tu oser me dire ça ? Tu te crois malin en prenant ton petit air supérieur ?
- C'est mon métier, je te parle en tant que professionnel. Je vais prendre quelques exemples pour que tu comprennes mieux. Regarde, par exemple, là tu as écrit :
"Le lecteur amateur de bonne chère sera ravi de trouver dans ce thriller américain de nombreuses recettes pour épicer la peau humaine. Pour les gastronomes, une cuisson à la poêle est à privilégier : le mets gagne en saveur et craque sous la dent. Vous trouverez également de nombreux conseils sur les meilleurs façons d'assaisonner les coeurs humains afin de les dévorer encore tièdes et juteux. Bon appétit !"
- Excellent passage non ? de quoi en faire saliver plus d'un !
- Non, c'est mauvais. Non seulement parce que les anthropophages ne représentent pas la majorité de notre lectorat, mais en plus tu présentes un polar comme un livre de recettes de cuisine malsaines. Ce qui n'est absolument pas pertinent ! Je poursuis avec un autre exemple :
"Quand vous lirez ce livre, vous serez pris d'une forte empathie pour William, mari fidèle et père aimant, qui verra tout son monde s'écrouler en apprenant que son ancien étudiant Kyle trouve son livre impubliable. Il l'avait pris sous son aile à une époque critique de sa vie, l'avait sauvé de la drogue et lui avait fait découvrir tous les bienfaits de la littérature. Et cet ingrat rejette son roman qui représente un travail de dix ans dans lequel il s'était investi corps et âme, et il voit tous ses rêves pulvérisés par son ancien élève arriviste. Kyle n'a d'yeux que pour Sierra Raven, cette jeune auteure devenue sa petite protégée. On espère de tout coeur que William, trahi, incompris ( "C'est complètement tordu. Vraiment, vraiment tordu. Et ce n'est même pas bien écrit." ) parviendra à rétablir l'équilibre astral en trouvant un autre éditeur prêt à parier sur son ovni littéraire, The devil's Hopyard, et à se venger de Kyle comme il le mérite."
- Je ne vois pas ce que tu reproches à ce passage. Rien qu'en l'écoutant j'en ai les larmes aux yeux tant l'émotion me submerge.
- C'est quoi un "équilibre astral" ?
- Je sais pas trop. Mais je trouvais que ça sonnait bien à l'oreille.
- Evite d'assembler des mots parce qu'ils vont bien ensemble s'ils ne veulent rien dire. Mais ça n'est pas ça le pire. Tu t'es vraiment pris d'affection pour ce professeur manipulateur, calculateur, aux écrits particulièrement inquiétants ? Cet homme jaloux, malade, qui a un irrépressible besoin de mettre les gens sous son emprise ? Tu t'es identifié à lui plutôt qu'à Kyle, ce garçon qui se rend progressivement compte que son ancien mentor est un homme impossible à gérer, prêt à tout pour être publié et pour se venger de celui qui a osé être médisant avec l'oeuvre de sa vie ? Avec tout mon respect, tu as vraiment un grain. Tu n'es vraiment pas net. Tu n'as pas pris le moindre recul.
- Reste correct, je ...
- Et c'est quoi ce passage : "J'ai adoré quand William a donné des laxatifs à un autre professeur et que celui-ci a dû courir aux toilettes pour aller faire caca."
- Ben quoi, c'est vrai, je n'ai rien inventé !
- On dirait que tu as cinq ans d'âge mental, et encore, pour un môme pas très évolué. C'est juste une anecdote sans aucune importance et tu en fais un genre de moment incontournable du roman au détriment de tout le reste. Tu es incapable d'extraire l'essentiel. Et je n'ai pas fini !
Il me tend mon chef d'oeuvre maculé de ratures rouges, et lit à nouveau un brillant extrait de ma prose, entouré de points d'exclamation débordant d'agressivité.
"Si comme moi vous rêvez parfois que vous êtes un sociopathe, vous allez prendre votre pied avec ce livre. Si vous êtes un peu timide vous vous contenterez d'écorcher des chats ou de torturer des oiseaux et si vous êtes plus téméraire alors vous aurez plaisir à jeter les corps de vos victimes dans la Scarpe ou un autre cours d'eau."
- Eh ben quoi ?
- Si je publie ça c'est la faillite assurée. Tous mes abonnés vont fuir. Non mais tu ne te rends pas compte ? 95 % de ma clientèle adore les chats ! Et puis on peut aimer les polars sans être un tueur en devenir. C'est même le cas d'une grande majorité ! Mais de toute évidence, ça n'est pas le tien.
- Mais ...
- Tu te rends compte qu'en trois pages décousues tu ne dis pas un seul mot sur l'écriture de Lee Matthew Goldberg, nerveuse, prenante, mais demeurant très basique au final ? Que tu n'évoques pas non plus le jeu de pouvoir qui passe sans cesse de Kyle à son ancien mentor et qui fait tout l'intérêt du roman ? Cette guerre silencieuse et psychologique faite de coups bas, ces intrusions dans leurs vies respectives, comme un face à face empreint de folie dont on pressent l'issue fatale ?
Tu ne dis pas un mot non plus sur la maladroite quatrième de couverture qui dévoile des rebondissements se situant aux deux tiers du livre. Rien du monde de l'édition dont on connaît un peu plus les rouages, même si c'est de façon assez superficielle. Rien non plus sur le livre dans le livre qui finit par se confondre avec la réalité !
- Une critique c'est simplement une affaire de point de vue.
- Encore faudrait-il en donner un ! On ne sait même pas si tu as aimé ce livre finalement !

Mes poings me démangent. J'ai envie de lui fracasser sa face de rat sur son bureau et de lui faire manger ses dents. Monsieur j'ai tout vu, j'ai tout compris, je sais tout mieux que tout le monde… Il m'horripile.
Au lieu de ça, je lui fais un grand sourire hypocrite, et je le remercie pour le temps qu'il a consacré à démolir la plus belle critique jamais rédigée, sûr de sa supériorité.
Dans son coeur, je perçois la plus insupportable des condescendances.

Je sais où il habite.
A cette heure-ci, sa femme et ses enfants devraient être seuls à la maison.
La vengeance n'est pas obligatoirement un plat qui se mange froid, me dis-je en sonnant à la porte, le couteau de cuisine aiguisé lové dans ma paume.

Commenter  J’apprécie          4115



Ont apprécié cette critique (35)voir plus




{* *}